Le coucou doit s’envoler

Fouad Laroui. 

Fouad Laroui.  . DR

ChroniqueDes cent nationalités présentes ce soir-là à Schiphol, seuls les Marocains avaient exigé que leur avion bravât les éléments et décollât en plein ouragan.

Le 01/03/2017 à 12h01

Voici une anecdote garantie authentique et qui dit sans doute quelque chose d’important sur la mentalité des Marocains. Mais quoi? Je ne sais pas trop, à vous de me le dire.

Ça se passe la semaine dernière, jeudi 23 février pour être précis. La tempête fait rage à Amsterdam (une tempête nommée Doris par les météorologues). Les autorités compétentes décident, par précaution, de fermer l’aéroport de Schiphol, qui dessert Amsterdam et tout le pays. On arrête tout! Plus aucun avion ne peut décoller ni atterrir.

A Schiphol, c’est naturellement une grande déception pour les milliers de voyageurs qui doivent s’apprêter à passer la nuit sur place, dans des conditions pas très confortables, ou bien retourner en ville chercher un hôtel pas trop cher. Mais bon, ce sont des choses qui arrivent. On maugrée un peu et puis on se résigne.

Quand je dis "on maugrée", il faut comprendre qu’on le fait en cent langues différentes car Schiphol est un aéroport international et un "hub" entre quatre continents. Et voici le plus extraordinaire: il y a une seule langue dans laquelle on ne maugrée pas ce soir-là à l'aéroport: le marocain dialectal (notre chère darija) mâtiné de tarifit. Pourquoi? Parce que les Marocains, à la différence des Chinois, des Péruviens, des Anglais, des Zambiens (on peut continuer longtemps comme ça....), au lieu de maugréer et de lever le camp, refusent tout uniment de s'en aller et exigent que l’avion de la RAM décolle, seul dans la nuit noire, seul dans la tempête. Ils ont chacun une bonne raison: un mariage à célébrer à Nador, une vente à réaliser à Al Hoceima, un scoubidou à exhiber sur la plage à Tanger, etc.

Les responsables de l’aéroport et de la RAM essaient de parlementer. Il leur suffit d'ailleurs de montrer les arbres à moitié courbés par la violence du vent et les paquets d'eau qui frappent à les briser les vitres. Rien à faire. «Notre vol doit décoller !», clament les Marocains sur l’air de ma m’fakinch !.

L'affaire devient tellement sérieuse qu’il faut appeler un très haut responsable à l'ambassade du Maroc -c'est d’ailleurs lui qui m’a raconté cette anecdote le lendemain. C’est un homme très compétent qui connaît parfaitement les procédures. En l’occurrence, les autorités portuaires sont souveraines. Si elles décident la fermeture de l'aéroport, personne, pas même le diable et son train, ne peut s’y opposer. Le haut responsable doit donc dare-dare aller à Schiphol calmer ses compatriotes. Je répète que des cent nationalités présentes ce soir-là à l’aéroport, seuls les ressortissants chérifiens avaient exigé que le coucou de la RAM bravât les éléments et décollât en plein ouragan.

Maintenant, je pose la question : pourquoi? Pourquoi sommes-nous les seuls à nous comporter ainsi ? Peut-être y a-t-il une sorte de fatalisme dans cette attitude. Ouragan ou pas, seul Dieu décide en fin de compte de notre sort. S’il veut que le biplan de la RAM arrive sans encombre à destination, eh bien il arrivera. Ou peut-être est-ce le passé compliqué des Rifains-qu’est-ce qu’on les a opprimés autrefois, ces gens-là...- qui les a rendus méfiants par rapport à tout ce qu'on leur dit (car c’était surtout des Rifains qui étaient dans l’avion). Quoi, tempête? Quoi, typhon et tornades? Tout ça, ce sont des coups tordus du Pouvoir (de n’importe quel Pouvoir…) et des Fassis pour nous empoisonner la vie.

Si vous voyez d'autres explications, envoyez-les moi, s'il vous plaît. Je serai heureux de comprendre ce qui s’est passé ce soir-là à Schiphol.

Par Fouad Laroui
Le 01/03/2017 à 12h01