Deux histoires d’incinération ont récemment défrayé la chronique dans notre beau pays où il se passe toujours quelque chose. Il y a eu tout d’abord le cas de Hassan, ce Marocain mort en France d’une piqûre de frelon et incinéré à l’initiative de son épouse française - contre les voeux, semble-t-il, de sa famille. La même semaine, une Marocaine a été arrêtée à l’aéroport de Fès en possession d’une jarre contenant les cendres d'un ressortissant marocain: elle les apportait à sa famille. On imagine sans peine la stupéfaction des douaniers confrontés à un cas qu’aucune loi ou règlement ne prévoit.
Disons, pour commencer, que c’est un sujet très sérieux. Pour une fois, l’ironie n’est pas de mise. Mors, ultima ratio, disait les Anciens. D’autre part, rien n’est évident dans cette affaire et quiconque pense s’en tirer avec un “y’a qu’à...” se fait des illusions. Essayons de raisonner calmement. Il s’agit ici du corps, plus précisément de ce qu’il en advient après le trépas. Une façon de poser le problème consiste à demander: à qui appartient notre corps?
Il y a en gros quatre situations possibles:1. Le servage, l’esclavage, etc.: mon corps ne m’appartient pas.2. La détention, l’incarcération: mon corps ne m’appartient plus, provisoirement: c’est une punition que l’Etat m’inflige.3. La minorité: mon corps m’appartient mais sous supervision de mes parents ou de mon tuteur. (On pourrait parler de co-propriété...)4. L’émancipation et la liberté: mon corps m’appartient.
Une fois ces distinctions faites, le reste coule de source. Un citoyen majeur, dans un pays démocratique où la liberté est une valeur fondamentale, doit pouvoir disposer de son corps comme il l’entend. Il peut donc choisir l’incinération.
Le problème, en ce qui concerne le Maroc, est qu’un tel principe semble contredire l’article 3 de la Constitution: ‘L’islam est religion d’Etat.’ En islam, on enterre, on n’incinère pas. Très bien. Cependant cette pratique (l’enterrement) ne fait pas partie des cinq piliers de la religion. L'incinération n’est donc pas expressément interdite, elle ne l’est que par le biais de fatwas, par exemple celle de la Commission égyptienne qui se prononça le 29 juillet 1953. Or ce qu’une fatwa a fait, une autre peut le défaire. Il est peut-être possible de trouver un fqih en rollers qui nous délivrerait une fatwa autorisant l’incinération. Pourquoi pas? On a vu plus étonnant.
Un de nos grands intellectuels a écrit il y a quelques années un texte émouvant dans lequel il demandait au nom de quoi il n’aurait pas le droit de reposer, au terme de sa vie, à côté de son épouse - il se trouve qu’elle n’est pas musulmane. Grave question à laquelle il n’y a pas de réponse simple. Mais au fond, la question est la même et chaque citoyen devrait se la poser: à qui appartient mon corps?
Qu’en pensez-vous? Si la réponse est: mon corps m’appartient, au nom de quoi vouloir empêcher autrui de disposer du sien comme il l’entend?
Débat à suivre...