Mieux vaut être une «presque famille»… et s’aimer

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ChroniqueLe chef de l’exécutif marocain a inventé le concept de foyer «presque familial» pour masquer la réalité du sexe hors mariage. Drôle et pathétique.

Le 13/06/2020 à 10h25

Au Maroc, ouvrez bien les yeux, l’amour n’existe pas. Il ne saurait exister. Mais il y a d’autres amours. En fait, tous les amours existent au Maroc. Sauf celui auquel vous pensez.

Nous avons en tête de liste l’amour de la maman, qui est le plus permanent. Il nous accompagne depuis le berceau. La maman, c’est le sein. Ça nourrit et ça enveloppe. Ça protège. Elle est notre protectrice et notre complice. C’est le dernier rempart, la dernière personne qui nous veillera jusqu’au bout.

Nous avons l’amour du papa, un peu plus problématique. Parce que le papa, c’est l’autorité. On l’aime autant qu’on le craint. Alors on lui obéit, on le subit, et on rêve de se révolter contre lui, de le dépasser, de ne pas lui ressembler.

Nous avons aussi, bien entendu, l’amour des enfants qui sont « un morceau (le meilleur) de notre foie » comme dit le dicton arabe. Pourquoi le foie, pourquoi pas le cœur? Parce que c’est le foie, croit-on savoir, qui est le vrai quartier général des sentiments. De tous nos organes, il est le plus sensible, le plus friable… et le plus extensible aussi. Les autres appellent leur progéniture «mon cœur», ici on dit «mon foie».

A côté de tous ces amours, nous avons l’amour de la patrie, de Dieu et de son prophète. Nous pouvons aussi, dans la vie quotidienne, développer d’amour d’un objet, un plat de cuisine, un animal de compagnie, etc.

La liste de ces amours déclarés est longue, très longue. Vous y trouverez tout, sauf l’essentiel: l’amour «presque familial», comprenez non légalisé par un adoul, dont parlait le chef du gouvernement.

Quand deux adultes entretiennent une relation sans être liés par un contrat de mariage, ils ne rentrent dans aucune case, aucun amour. Même le chef de l’exécutif marocain ne peut rien faire pour ces deux malheureux. Il fait comme s’ils n’existaient pas. Pour les désigner, il invente ce concept bidon de «foyer presque familial».

Le sexe, l’amour, la passion, le désir? Il faut effacer tout cela et l’étalonner à la seule valeur possible et imaginable: la famille. La «presque famille» n’est qu’une famille à laquelle il manque un contrat de mariage.

Bien sûr, nous avons tous ri quand le souriant El Othmani a sorti ce concept de «presque famille» comme un magicien sort un lapin de sa poche. C’était amusant. C’était même efficace, puisque les Marocains ont compris où il voulait en venir. Et lui ne pouvait que se frotter les mains: parce qu’il s’est fait comprendre sans égratigner la bonne morale familiale, sans normaliser avec le sexe hors mariage, sans se compromettre.

Remarquez que le chef de l’exécutif n’a pas parlé de relations «illicites» mais «presque familiales». Il aurait pu en référer à la loi, il a préféré faire «œil mica» et en référer à la famille, toujours la famille. C’est toujours ça de pris. Mais est-ce vraiment une avancée?

Dommage M. El Othmani. Vous auriez pu appeler un chat un chat, et sans moraliser, sans juger. Vous auriez pu parler de «couples», de «personnes en union libre», parce que ce sont des gens comme les autres et même des familles comme les autres. Mais vous avez opté pour un code absurde et hypocrite qui ne correspond à aucune réalité. Merci quand même d’en avoir fait rire quelques-uns parmi les innombrables foyers presque familiaux qui peuplent ce pays. Et qui ont au moins la chance de s’aimer!

Par Karim Boukhari
Le 13/06/2020 à 10h25