A propos de la vraie-fausse interdiction de la burqa

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ChroniqueLégitimer ou non l’interdiction de la burqa est une affaire complexe parce qu’elle renvoie, qu’on le veuille ou non, à la question qui fâche : la burqa est-elle porteuse d’un message de haine, voire de guerre, pour la société?

Le 14/01/2017 à 19h22

L’interdiction de la fabrication-commercialisation de la burqa n’est pas une décision démocratique. Elle ne repose sur aucune loi, elle n’émane d’aucun instance représentative, elle n’est d’ailleurs revendiquée par personne. C’est une décision unilatérale (certains diront «souveraine») de l’Administration marocaine.

Le débat sur la légalité de l’interdiction est bien sûr important. D’autant que la décision semble avoir été motivée par de vagues «raisons sécuritaires» que personne n’a réellement pris la peine d’éclaircir. Quelles raisons sécuritaires, de quoi parle-t-on exactement? Nul ne le sait. Nous sommes bien face à une décision opaque et à la limité de l’illégalité.

Et puis, disons-le : l’Administration joue avec les mots et les concepts. Elle interdit la commercialisation-fabrication sans qu’aucune loi ne prévoie l’étendue et la nature des sanctions pour les contrevenants. Et surtout sans piper mot sur le port de la burqa : est-il lui aussi interdit ? La note de l’Administration élude le sujet, qui reste donc ouvert à toutes les interprétations.

Nous sommes pour le moment face à un ballon d’essai (pour sonder l’opinion marocaine avant d’aller plus loin) et à un petit coup de com’ (pour séduire une grande partie de l’opinion internationale).

Nous sommes aussi, de ce fait, face à quelque chose qui peut encore changer et évoluer dans un sens comme dans l’autre : une interdiction réelle de la burqa sertie d’un arsenal légal et si possible démocratique (une loi qui transite par le Parlement) ou une marche arrière pour réautoriser la burqa, peut-être sous conditions, et faire comme si de rien n’était.

A ce stade, il ne faut jurer de rien. Nous sommes face à une vraie -fausse interdiction. Notez au passage que si des voix se sont emparées de la question pour en débattre, si le sujet fait rage dans les réseaux sociaux et parmi la jeunesse, aucune formation politique, à commencer par les islamistes, ne s’est invitée au débat. Sans doute attendent-ils, comme l’Administration marocaine, de sonder l’opinion publique avant de sortir du bois.

Remarquez aussi, d’un point de vue sociologique, qu’une interdiction, quand bien même confirmée, restera toujours difficile à faire respecter dans le contexte marocain, où les lois qui interdisent rencontrent des résistances et ne sont pas toujours appliquées sur le terrain.

On peut encore, pour relativiser, débattre de la définition de la burqa, du rapport avec le niqab, des limites floues entre le religieux et le social (le voile intégral comme tradition ou signe de radicalisation ?), de la question de la liberté ou de l’embrigadement des personnes (cas des fillettes en burqa-niqab), du rôle de l’Etat, de la stigmatisation, etc.

Il y a aussi le débat sur l’espace public, sur la place de la femme, sur le contact et l’ouverture aux autres, comme cela a été magnifiquement rapporté dans une chronique de Leila Slimani.

Tous ces débats sont utiles et nécessaires. Légitimer ou non l’interdiction de la burqa est une affaire complexe parce qu’elle renvoie, qu’on le veuille ou non, à la question qui fait mal : la burqa est-elle porteuse d’un message de haine, voire de guerre, pour la société ? Si oui, ce message a-t-il sa place, est-il conciliable, acceptable, par rapport à nos choix de société et aux exigences du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui?

C’est la réponse à cette question qui donnera du sens à la vraie-fausse interdiction de la burqa. Réfléchissons-y!

Oui, les habits sont parfois porteurs d’une idéologie. Et oui, il faut en débattre parce qu’il n’y est pas seulement question de liberté individuelle mais aussi de salubrité publique. Et non, tous les habits et toutes les idéologies ne sont pas solubles dans l’espace social et la communauté. Une croix gammée ou une fleur sur le chemisier ne distillent pas le même message à celui qui les regarde ou les porte.

Par Karim Boukhari
Le 14/01/2017 à 19h22