Témoignage: "Moi Fatna, tabassée par mon mari pour lui avoir refusé un 2e mariage"

DiaporamaLe 8 mars, Journée internationale de la femme, les photos de Fatna ont fait le tour de la Toile. Tabassée par son mari pour avoir refusé de lui signer une autorisation pour un deuxième mariage, Fatna a décidé de demander justice.

Le 12/03/2017 à 15h25

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C’est chez sa sœur que Fatna a accepté de nous recevoir. Timide sourire aux lèvres, le visage encore légèrement tuméfié, Fatna nous demande de nous installer dans le salon de ce trois-pièces situé dans le quartier périphérique de Tacharouk à Casablanca, où elle vit depuis le drame. Les séquelles sont encore visibles, son œil gauche s'ouvre à peine, mais Fatna a décidé de réagir.

Elle a décidé de témoigner du cauchemar que lui fait vivre son mari depuis plus de deux décennies. Elle commence par nous montrer les certificats médicaux, procès-verbaux et photos témoignant de son vécu, toute une paperasse étalée sur la table de salon, comme gage de sa bonne foi et signe qu'elle se sent obligée de se justifier.

"Viens voir une surprise!"

Le drame s’est déroulé le 10 février. Fatna se souvient encore de tous les détails. «Il était cinq heures de l’après-midi. Je préparais le thé comme tous les jours pour mon mari qui ne devait pas tarder à rentrer. Quand il sonna à la porte, je me suis précipitée en bas de la maison pour lui ouvrir. Il m’a prise par la force et m’a enfermée dans une pièce au rez-de-chaussée», raconte-t-elle encore sous le choc.

Séquestrée dans la maison de sa belle-famille, celle qui a refusé de donner son accord à un second mariage de son mari va subir les affres de ce dernier, bien décidé à en découdre avec elle. Les coups commencent alors à pleuvoir, surtout sur le visage de Fatna qui tente bien de se débattre. Fatna ne cesse d’insister sur les chaussures de son agresseur: «il me tabassait avec ses bottes Caterpillar».

Sauvagement torturée, Fatna crie à l’aide. Il faudra plusieurs longues minutes avant que des membres de sa belle-famille ne finissent par ouvrir la porte et découvrent l’horreur: le corps de Fatna gisant sur le sol, le visage baignant dans son sang. «Ils (les membres de sa belle-famille) ont tenté de m’aider mais mon mari s’est interposé. C’est là qu’il a pris son portable et a appelé mon frère. Il lui a dit: viens voir une surprise », raconte la victime. Le frère, ne se doutant de rien, arrive chez son beau-frère, les bras remplis de gâteaux et de friandises.

«Le pauvre, il croyait qu’on allait se retrouver en famille, comme d’habitude», poursuit Fatna, toujours aussi émue. À la vue de sa sœur, ni une, ni deux, il la porte dans sa voiture et l’emmène rapidement aux urgences de l’hôpital 20 août où Fatna sera soignée, avant d’aller voir la police pour porter plainte contre son mari.

10 ans d’absence

Les coups, Fatna avait l’habitude de les prendre, «mais pas à ce point», avoue-t-elle. Avec son époux, ils se sont mariés il y a 19 ans, lorsqu’elle n’avait encore que 22 ans. «Ce sont ses parents qui nous ont mariés. Je n’avais nulle part où aller et mes parents étaient morts», raconte-t-elle. « Un an après notre mariage, nous avons eu Mohamed», poursuit encore celle dont les premiers mois de mariage ont été marqués par la pauvreté.

Alors, quand son mari reçoit, quarante jours après la naissance de son fils, une offre d’emploi en Italie, il n’hésite pas un instant et laisse femme et enfant pour partir s’installer en Italie. «C’était le rêve pour lui», se souvient Fatna. Mais, cinq ans après son arrivée en Italie, l’homme agresse un individu et écope de cinq ans de prison ferme. Ce n’est qu’à sa sortie de prison que l’homme rentre enfin au Maroc pour retrouver sa famille.

Fatna est malgré tout heureuse de retrouver son époux, malgré les dix ans qu’elle a passés toute seule. Ensemble, ils auront deux nouveaux enfants. Mais plus les jours passent, plus Fatna déchante. Son mari s’absente de plus en plus, se fait de plus en plus rare, lui laissant à elle seule la gestion de la maison et l’éducation des enfants. «Je me doutais bien qu’il avait une maîtresse. Nous, les femmes, on sait quand ce genre de choses arrive. On le sent». Et puis la vie de femme au foyer laisse place à un perpétuel enfer. L’homme ne rentre plus à la maison.

«Les seules fois où je le voyais, c’était quand il rentrait dans la journée pour me donner ses vêtements sales, prendre sa douche et disparaître de nouveau chez sa maîtresse. J’étais une femme de ménage pour lui», lâche Fatna, avant d’ajouter: «C’est à ce moment-là qu’il a commencé à de me demander de lui signer l’autorisation pour qu’il épouse une deuxième femme. Je refusais à chaque fois. Et il me frappait à chaque fois». 

"Tout ce que je veux, c’est que justice soit faite"

Fatna a déjà déposé plainte une première fois en 2015 avant de la retirer «à cause des enfants et de la pression que j’ai subie de la part de sa famille». Aujourd’hui, elle est décidée à aller jusqu’au bout, pour panser ses blessures, et surtout parce qu’elle veut que justice soit faite.

Son mari est convoqué le 23 mars au tribunal de Ben Ahmed pour «coups et blessures». Selon les chiffres d’une étude effectuée par le gouvernement en 2010, 55% des femmes mariées se disent victimes de violences conjugales. Au Maroc, il n’y a toujours pas de loi contre la violence conjugale.

Par Rania Laabid
Le 12/03/2017 à 15h25