Quand des enfants violés rompent le silence

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La tragédie? Celle d’une mère et de ses filles, violées à son insu par leur propre père qui profitait de l’absence de sa femme, infirmière dans une clinique privée et souvent de permanence de nuit, pour abuser de ses enfants. Un cas isolé que ce terrible drame? Pas vraiment, malheureusement.

Le 02/07/2014 à 10h00

Une histoire qui glace le sang. Celle d’une tragédie, monstrueuse, pétrie de silences qui ont fini par éclater au grand jour pour secouer les habitants de la ville d’Agadir, profondément choqués, et ceux qui auront à juger cette affaire désormais entre les mains du tribunal. La tragédie? Celle d’une mère et de ses filles, violées à son insu par leur propre père qui profitait de l’absence de sa femme, infirmière dans une clinique privée et souvent de permanence de nuit, pour abuser de ses enfants. Des enfants dont la plus jeune n’a pas plus de six ans et sur laquelle sa mère a trouvé, un soir, des traces de sperme. Une découverte qui a affolé non seulement la mère mais, aussi, sa fille aînée de 15 ans qui, réalisant alors que son père faisait vivre à sa petite sœur les horreurs qu’elle-même subissait régulièrement, a décidé de quitter le silence dans lequel elle s’était murée pour le dénoncer.

Pour dénoncer ses intrusions dans sa chambre où il se glissait dans son lit pour la violer, une main sur sa bouche pour l’empêcher de crier. Et il s’est avéré que sa petite sœur de 6 ans subissait les mêmes atrocités. L’affaire a en effet été confiée à la justice et l’enquête qui s’en est suivie a permis de libérer la parole chez les victimes qui ont livré des témoignages insoutenables et sont actuellement suivies par des psychologues. Comme si cela ne suffisait pas, les enquêteurs apprendront que l’homme avait de même violé sa belle-mère, qui venait de temps à autre s’occuper des fillettes en l’absence de leur mère. Comme les enfants qui avaient gardé le silence par peur de leur père, leur grand-mère avait de même choisi de se taire, ne sachant pas ce que subissaient ses petites-filles et croyant préserver ainsi sa propre fille et sa famille. 

Le tribunal d’Agadir devra prochainement statuer sur le sort de ce criminel incestueux qui a saccagé ses enfants et dévasté toute sa famille. Une famille dont le drame n’est malheureusement pas un cas isolé. Nous ne cesserons de la répéter: les déviances et violences sexuelles ne sont plus de l’ordre du fait divers mais témoignent, en l’occurrence, d’une véritable pathologie sociale.

Un cas isolé ? Loin de làLa cour d’appel de Beni Mellal vient d’ailleurs tout juste de condamner à 15 ans de prison un père incestueux de 53 ans qui a eu l’aplomb de déclarer au juge, interloqué, qu’il ne savait pas ce qu’il faisait en violant sa fille car il était "sous l’emprise des esprits". Les esprits ont bon dos. L’homme a de plus violé la petite Khadija à plusieurs reprises, au point que la jeune fille s’est mise à dépérir. Et c’est grâce à l’insistance de sa mère, alertée par son état et très inquiète, qu’elle finira par confier l’horreur qu’elle vivait depuis plusieurs mois.

Non, nous ne sommes plus dans le cadre des cas ponctuels que constituent les faits divers. Il semble que nous soyons là face à un fléau qui relèverait même d’un grave problème de santé public. En 2013, le chiffre effrayant de 26.000 enfants violés chaque année au Maroc, soit en moyenne 71 enfants par jour, a été avancé par les ONG. Parmi ces enfants, nombreux sont victimes, comme cela a été souvent répété, de leur entourage proche. Et si le plan d’action national pour l’enfance 2006-2015 a fait de la lutte contre la violence faite aux enfants l’une de ses priorités, il semblerait que, loin d’avoir été endigué, le fléau de la violence sexuelle fasse toujours, et de façon de plus en plus inquiétante, cruellement partie des maux les plus révoltants et abjects qui frappent notre société. Les plus frappés de tabou, aussi, les victimes ayant d’autant plus de mal à rompre le silence quand leur souffrance touche à la famille.

Par Bouthaina Azami
Le 02/07/2014 à 10h00