Une première mondiale! La Banque mondiale, accusée de "faux, usage de faux, usurpation de biens et de noms", est assignée à comparaître devant la justice marocaine. Le procès débutera en janvier prochain. "C’est un grand acquis. La Banque mondiale a enfin accepté de répondre aux accusations formulées par les chercheurs marocains et s’est résignée à se conformer aux lois marocaines", se félicite Najib Akesbi, chercheur de l’Institut agronomique et vétérinaire de Rabat, un des plaignants qui a poursuivi la Banque mondiale. Et de poursuivre : "Depuis deux ans, le représentant du Bureau de la Banque mondiale à Rabat refusait de signer un quelconque accusé de réception de la convocation du tribunal de première instance de Rabat, arguant que la Banque mondiale a l’immunité diplomatique et donc n’est pas justiciable devant les juridictions nationales des pays membres". Or, l’article 7 des statuts de cette organisation internationale stipule clairement que "la Banque ne peut être poursuivie que devant un tribunal ayant juridiction d’un Etat membre où elle possède un bureau".
La première audience a eu lieu le 11 décembre dernier. Toutefois, le tribunal de première instance de Rabat a décidé de reporter le procès au mois de janvier, à la demande de l’avocat de la Banque mondiale. Ce dernier a demandé ce report afin de pouvoir prendre connaissance de toutes les pièces du dossier et préparer sa plaidoirie. Pour rappel, l’affaire remonte à 2012, quand trois chercheurs du programme "RuralStruc" au Maroc, à savoir Akesbi Najib, Benatya Driss et Mahdi Mohamed ont attaqué en justice la Banque mondiale. "RuralStruc" est un programme d’étude et de recherche portant sur les "implications structurelles de la libéralisation pour l’agriculture et le développement rural".La Banque mondiale réagit
Contacté par Le360, le bureau de la Banque mondiale à Rabat donne une autre version des faits. "Cette affaire concerne un différend contractuel entre un groupe de chercheurs et le cabinet d'études Icon2e dans le cadre du programme RuralStruc. Ce programme aide la Banque mondiale et ses partenaires de développement à mieux appréhender les enjeux de la libéralisation agricole au bénéfice de la population du Maroc ainsi que d'autres pays ayant fait l'objet d'une étude", souligne le Bureau de la Banque mondiale à Rabat. Et de préciser : "La Banque mondiale a fait appel au cabinet Icon2e pour mener cette étude, qui lui même a sous-contraté l'élaboration de l'étude à un groupe de chercheurs". Pour cette instance internationale, cette affaire se résume à "un litige tiers qui n'implique pas la Banque mondiale". "Etant donné que l'affaire est en cours d'examen par la justice, la Banque mondiale n'est pas en mesure de faire des déclarations additionnelles au sujet de cette affaire", ajoute la même source.
Le silence radio du gouvernement
Quelle est la réaction du gouvernement marocain? "C’est le silence radio", rétorque Najib Akesbi. "Nous avons contacté le ministère de l’Enseignement supérieur. Ses promesses restent lettres mortes. Pour sa part, Najib Boulif, ancien ministre des Affaires générales et de la gouvernance (aujourd'hui ministre délégué du Transport), qui était notamment chargé des relations avec les institutions internationales, n’avait pas jugé utile de nous accorder un entretien pour nous écouter, en dépit de nombreuses tentatives formelles et informelles, pour le sensibiliser à une question qui pourtant interpelle au plus haut point sa responsabilité", regrette Akesbi.
Pour rappel, le programme "RuralStruc" a été mis en œuvre par la Banque mondiale en collaboration avec la Coopération française et le Fonds international pour le développement agricole (FIDA). Sept pays ont été parties prenantes à ce programme à savoir le Kenya, Madagascar, le Mali, le Mexique, le Nicaragua, le Sénégal et le Maroc. L’étude devait se dérouler en deux phases au cours de la période 2006-2010. "La première phase avait été réalisée dans le cadre d’un contrat de recherche avec notre employeur, l’Institut agronomique et vétérinaire de Rabat. Elle s’était bien déroulée. Toutefois, la deuxième phase s’est au contraire très mal déroulée", déplorent les trois chercheurs dans une lettre envoyée notamment au gouvernement de Benkirane."Confiée à un bureau d’études privé pour la réalisation de la partie opérationnelle, cette phase n’a pu être conduite à son terme dans les conditions de fiabilité et de professionnalisme nécessaires. Le fond du problème réside à un double niveau : d’une part une base de données qui n’a jamais été assainie et fiabilisée par le bureau d’études et d’autre part une équipe de coordination internationale au niveau de la Banque mondiale qui a multiplié les erreurs, sinon les fautes dans l’exercice de ses responsabilités", poursuivent les plaignants. "Le plus grave est qu’on allait ensuite nous "ordonner" de valider des données dont nous ne cessions de montrer qu’elles n’étaient pas fiables. Face à notre refus de nous plier à ses ordres, le bureau d’études se permit de résilier unilatéralement notre contrat, puis de livrer le rapport que nous avions rédigé ", s’indignent-ils.




