Elle est pétillante, Mi Rahma. Elle est malicieuse. Et, c’est elle-même qui le dit, elle est d’"une dignité redoutable". Mi Rahma a retrouvé le sourire. Oui, de temps à autre, son regard s’obscurcit au souvenir de cette nuit de l’horreur et du pire des outrages où l’on a forcé sa porte et où, ne comprenant pas, du haut de la lumineuse innocence de ses 96 ans, ce qu’on lui voulait, elle a encore appelé son violeur "mon petit", un môme, pour elle. Qui aurait pu être son arrière petit-fils. Un môme, pour elle, bien plus jeune que ne l’auraient été aujourd’hui les deux fils que, ce vendredi, elle nous a confié avoir perdu. Oui, ses yeux se voilent encore, par moments. Mais la tristesse a disparu. La colère lui a cédé le pas. La colère et une furieuse rage de vivre dont elle nous aura appris qu’elle n’a pas d’âge et qu’elle se nourrit au respect que l’on a de soi et de l’autre.
(Vidéo: Bouthaïna Azami & Abderrahim Et-Tahiry)
Elle est frêle, Mi Rahma. Mais elle ne mâche pas ses mots. Elle n’ira pas se fourvoyer dans un tribunal déserté de ceux qu’on censé juger et qui courent toujours. Et elle nous le dira sans détour. L’accusé qui avait été incarcéré à la prison de Kénitra a été relâché, lors même qu’elle l’avait formellement désigné comme étant l’un de ses agresseurs. Il vit à présent, nous dira-t-elle, à Sidi Slimane avec des amis et vient régulièrement rendre visite à ses parents qui ne sont autres que ses propres voisins.
Elle a l’air d’un roseau Mi Rahma. Mais elle le dit elle-même. Comme le roseau, rien ne la fera ployer que la mort.
Face à son ancienne petite demeure pétrie dans la terre et est devenue, aujourd’hui, une annexe abritant la cuisine et le garde-manger, une petite maisonnée donnant sur une cour intérieure qui n’attend plus que quelques plantes pour l’égayer s’est élevée comme un rempart contre la peur. Deux portes de fer couleur cuivre se découpent dans la chaux. L’une mène à la salle d’eau. L’autre au salon qui laisse entrer le soleil à travers une fenêtre doucement barrée de fer forgé. Une petite maison, modeste mais fière, comme elle. Vierge de toutes les insanités dont on a pu souiller son espace comme on avait souillé son corps et son âme. "Je m’enferme et je dors tranquillement", nous a-t-elle dit sur un ton délicieusement rebelle. Une petite maison modeste et fière et forte comme un roseau pour avoir été bâtie sur des fondations. Le maître d’œuvre et son équipe? Elle leur préparait même des tajines dont ils se souviendront.
Merci
Merci. Un mot qui revient même par trop souvent dans la bouche de Mi Rahma. Merci à ceux qui ont permis qu’elle se remette à rire pour s’être remise à croire en l’amour. A croire que l’amour est plus fort que la violence. Elle a la lumière, à présent, Mi Rahma, pour l’éclairer la nuit, grâce à une voisine qui a permis au maître d’œuvre de puiser chez elle l’électricité. Mais la lumière qui l’éclaire vraiment vient d’ailleurs. Une lumière qui permettra peut-être d’éclairer tout le village encore privé d’eau et auquel, grâce à cet élan de solidarité, des promesses ont été faites par la commune.
En attendant, les rires de Mi Rahma résonnent encore dans les airs. Elle a vécu, Mi Rahma, et ce n’est pas peu dire. Mais elle est pétillante. Elle est malicieuse. Elle a l’éclat de 96 ans de furieuse innocence.
Un plafonnier qui lui a été offert attend de recouvrir l’ampoule qu’elle aime à allumer la nuit comme une étoile qui n’appartient qu’à elle. La petite cuisine, impossible à repeindre pour être de terre, attend d’être recouverte de plâtre par un artisan sollicité ce vendredi, lors de notre dernière visite à Mi Rahma, Histoire, surtout d’en chasser les dernières traces d’une offense qui restera, malgré tout, plantée dans sa chair et sa mémoire. Mais dont chacun aura aidé à adoucir les plaies. Et dans ces moments où le rire de Mi Rahma s’élève comme une offrande, on se prend à espérer qu’il est des moments de douceur où elle oublie tout à fait. Des moments…