Refonte du système de santé: «l’indispensable» parcours de soins ne fait pas l’unanimité

La structure médicale moderne mise en place à Agadir comprend 101 lits. 

La structure médicale moderne mise en place à Agadir comprend 101 lits.  . DR

La refonte du système de santé est enclenchée pour garantir la réussite de la généralisation de la protection sociale et de l’AMO. Si les différents volets de ce chantier sont bien accueillis par les médecins, un point ne fait pas l’unanimité: le parcours de soins. Les détails.

Le 05/09/2022 à 17h36

La mise en œuvre du chantier royal de la généralisation de la protection sociale et de l’assurance maladie obligatoire (AMO) a pour corollaire la refonte globale du système national de santé. Il s’agit même d’une condition sine qua non pour sa réussite. Etant aux manettes de cette réforme, le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Khalid Aït Taleb, a élaboré le projet de loi-cadre 06-22 relatif au système national de santé avant sa présentation et son adoption par le Conseil des ministres présidé par le roi Mohammed VI le 13 juillet 2022.

Parmi les grands apports de cette nouvelle loi-cadre, l’instauration du parcours de soins dans le secteur privé, «alors qu’il n’était appliqué que dans le public depuis une quinzaine d’années», fait remarquer Tayeb Hamdi, médecin, chercheur en politiques et systèmes de santé.

Selon l’article 12 dudit projet de loi-cadre, «l’offre de soin est organisée à l’échelon de chaque région conformément à la carte sanitaire régionale, et sur le respect du parcours de soins qui débute obligatoirement en passant par les établissements de soins primaires pour le secteur public, ou par un médecin généraliste pour le secteur privé».

Un peu de théorie pour comprendre. Le parcours de soins se base sur la coordination des soins et services de santé offerts aux assurés par un médecin traitant, médecin généraliste, ou médecin de famille, placé à l’entrée du système de santé. Son rôle est d’assurer le premier niveau de recours aux soins, coordonner le suivi médical, accompagner et orienter le patient dans le parcours de soins coordonnés, gérer le dossier médical, assurer, en coordination avec le médecin spécialiste, le protocole de soins pour une affection de longue durée et assurer les actes de prévention personnalisée, explique Tayeb Hamdi.

Dépasser l’anarchieIl convient de décrire le mode actuel d’accès aux prestations sanitaires pour mieux comprendre l’importance d’une telle refonte. Joint par Le360, Jaafar Heikel, spécialiste en maladies infectieuses, professeur d'épidémiologie et économiste de la santé décrit ce mode d’accès comme étant à la fois «erratique» et «stochastique».

«Le citoyen marocain, lorsqu’il a un souci de santé, peut aller directement à la pharmacie, puis à un centre de santé ou un cabinet médical, se rendre, ensuite, à un Centre hospitalier et universitaire (CHU), repartir à une clinique privée pour finir dans un hôpital périphérique. Il n’y a pas de logique!», explique ainsi Jaafar Heikel qui préfère parler d’un parcours de santé plutôt que d’un parcours de soins. «Le parcours de soins a une logique purement curative, alors que le parcours de santé a une logique préventive et curative».

Concrètement, après la mise en place du parcours «de santé», le citoyen «devra commencer par un centre de santé, un hôpital préfectoral, un hôpital régional et ensuite le CHU», détaille l’économiste de santé. Dans le secteur privé, le patient «devra commencer par un cabinet médical et puis, terminer dans une clinique», poursuit-il. Il insiste, par ailleurs, sur l’importance d’une coordination entre les deux secteurs, public et privé, qui «permettrait un passage de part et d’autre plus logique et coordonné en fonction de l’intérêt du citoyen».

Le médecin généraliste au cœur de la refonteOn l’aura compris, le rôle du médecin généraliste, dans cette nouvelle vision, est primordial. Ce spécialiste de soins premiers «permet non seulement de prendre en charge une personne, une famille ou une communauté, mais également de les diriger vers le spécialiste ou vers une structure plus spécialisée lorsque la situation du patient l’exige», explique Jaafar Heikel.

D’autres atouts de cette mise en avant du médecin généraliste : un gain énorme en temps et en argent. Selon Tayeb Hamdi, le passage par le médecin généraliste, ou le médecin traitant, «permet de faire gagner du temps au patient en étant accompagné et orienté par un médecin au lieu de consulter plusieurs médecins d’une manière arbitraire avant de consulter le médecin qu’il fallait dès le départ. Il fait gagner au patient un précieux temps pour avoir un diagnostic et une prise en charge adaptée précoce et des chances de guérison plus amples».

Le respect du parcours de soins fait aussi «gagner au patient et aux caisses de maladie des dépenses autrement inutiles, comme il fait gagner au système de santé une utilisation optimale des ressources humaines puisque les médecins examineront des patients qui relèvent effectivement de leurs spécialités et non des patients qui se sont trompés de parcours en atterrissant chez un gastro-entérologue alors qu’il s’agissait d’un problème cardiaque, par exemple», explique le chercheur en politiques et systèmes de santé.

Une atteinte à un droit constitutionnel?Rares sont les changements, qu’ils soient positifs ou négatifs, qui reçoivent à l’unanimité le soutien de l’ensemble des parties prenantes. L’intégration de cette notion de parcours de soins ne fait pas exception. En fait, plusieurs médecins spécialistes, tout en se félicitant de cette volonté royale et gouvernementale de réformer le système sanitaire, manifestent leur inquiétude quant à l’article 12 du projet de loi-cadre.

Contacté par Le360, Moulay Said Afif, président du Collège syndical national des médecins spécialistes privés, estime que cet article «prive le citoyen de son droit de choisir son médecin traitant». Il s’agit pourtant d’un droit garanti par la Constitution de 2011. «La décision de rendre obligatoire pour un citoyen de passer par un médecin généraliste va aussi à l’encontre de la déontologie et de l’éthique», ajoute-t-il.

Le représentant des médecins spécialistes privés défend, bec et ongles, le droit des patients de choisir leur médecin traitant suivant leurs besoins. «Un citoyen doit consulter un médecin en fonction de ses problèmes de santé. Un patient qui a un problème cardiaque, par exemple, ne va pas consulter un médecin généraliste», argue-t-il.

Un autre son de cloche chez Tayeb Hamdi. Pour le chercheur en systèmes de santé, le parcours de soins n’entrave nullement la liberté de choix des patients. «Le respect du parcours donne droit à des remboursements plus importants que le non-respect, mais ne prive nullement quiconque de consulter le médecin de son choix en dehors du parcours, seul le seuil des remboursements changera pour privilégier la rationalisation et l’optimisation de l’usage des ressources humaines, financières et matérielles», réplique-t-il.

Médecin référent au lieu de généralisteAfin d’éviter un éventuel conflit entre médecins généralistes et spécialistes, Moulay Said Afif appelle le gouvernement à un amendement dudit article en intégrant la notion de médecin référent au lieu de généraliste. «Le médecin référent peut être un généraliste ou un spécialiste qui assure le suivi d’un patient ayant une maladie chronique, par exemple», explique-t-il.

L’épidémiologiste et économiste de santé appelle, pour sa part, à plus de flexibilité dans la mise en place de ce parcours, surtout lors des premières années. «Il est très important de laisser la porte ouverte à ce que ce parcours de soins, ou de santé, soit à travers le médecin généraliste, médecin de famille, ou à travers le médecin traitant», explique Jaafar Heikel. Si on considère quelqu’un qui a une hypertension artérielle depuis plusieurs années, par exemple, et qu'il est suivi par son cardiologue, ce dernier devient donc son médecin référent.

«On peut, pour un citoyen qui n'a pas de médecin référent, commencer son entrée dans le système de santé à travers un médecin généraliste ou un médecin de famille qui le dirige vers un médecin spécialiste en cas de besoin. Cela se fera pendant une période transitoire qui peut durer, par exemple, cinq ans en fonction de la politique de santé et des décisions gouvernementales. Après cette période, le passage par le médecin généraliste deviendra obligatoire», suggère Jaafar Heikel.

Il convient de préciser que le parcours de soins ne concerne pas des pathologies dont la prise en charge par des spécialités est évidente comme l’ophtalmologie, la pédiatrie, la gynécologie, ou les consultations d’urgence ou pour un suivi avec un spécialiste dans le cadre d’une maladie chronique.

Le 05/09/2022 à 17h36