Vidéo. Facultés de médecine: ce qu’il faut savoir pour comprendre la crise qui oppose le Public au Privé

Le360

Le bras de fer se durcit entre le gouvernement et les étudiants des facultés publiques de médecine. Ces derniers persistent à refuser l’accès des lauréats des facultés privées au concours de résidanat au sein des CHU publics. Les explications.

Le 01/06/2019 à 16h30

Le mouvement de contestation des étudiants des facultés publiques de médecine se poursuit. Les solutions proposées par les deux départements de tutelle (Enseignement supérieur et Santé) au fil des cinq rounds de négociation ne semblent pas convaincre les membres de la Coordination nationale des étudiants en médecine (CNEM). Un appel au boycott des examens, prévus du 10 au 24 juin, a été lancé entre-temps.

L’heure n’est pas à se voiler la face: l’accès des étudiants des facultés privées de médecine aux concours d’internat et de résidanat dans les CHU du public est le vrai point d’achoppement, qui est à l’origine du mouvement de contestation des étudiants des facultés publiques.

Ouvert aux étudiants ayant réussi leur cinquième année et validé tous les stages, le concours d’internat permet de filtrer les meilleurs candidats de chaque promotion, la crème de la crème, une trentaine d’étudiants en moyenne dans chaque faculté.

L’internat qui ouvre la voie au métier d’enseignement, offre également un accès privilégié à la spécialité médicale. A l'issue de deux années d’internat aux Centres hospitaliers universitaires (CHU), ils sont nommés résidents sur titre et, de ce fait, ils ont la priorité dans le choix de la spécialité.

Jusqu’à une date récente, il était question d’autoriser les étudiants des facultés privées à passer le concours d’internat dans les CHU du public au même titre que leurs confrères du secteur public. C’était compter sans la résistance des étudiants du secteur public. Ces derniers ont entrepris un mouvement de grogne et font brandir le spectre d’une année blanche. Le gouvernement a-t-il finalement cédé à la pression des étudiants qui ont déserté les bancs de l’université publique?

En tout cas, depuis mars 2019, chaque faculté de médecine, publique ou privée, devra organiser séparément un concours d’internat pour ses propres étudiants. «Un interne est toujours étudiant et n’est pas encore Docteur en médecine. Ce n’est donc pas un concours de recrutement», explique Hicham Nejmi, Secrétaire général du ministère de la Santé.

Chez les étudiants de la faculté privée de médecine à Casablanca, la pilule a du mal à passer.«Nous avons été surpris par la décision du ministère. Nous estimons avoir droit à l’internat. Certes, notre université lancera un concours d’internat l’année prochaine, mais c’est une question de principe et de droit pour nous. Pourquoi nous priver d’accéder aux CHU du public, alors que le concours de résidanat de notre université est accessible aux lauréats de la faculté publique», s’étonne Ali Taleb, président du Bureau des étudiants (BDE) à l’Université Mohammed VI des sciences de la santé (UM6SS).

La première promotion des docteurs diplômés de cette université, basée à Casablanca, ne sera prête qu’à l’issue de l’année universitaire 2020-2021. Par conséquent, ces étudiants ne sont pas encore en mesure de passer ni le concours de résidant ni celui d’internat.

Les raisons du blocage

La décision concernant le concours d’internat étant déjà tranchée, le blocage se concentre maintenant au niveau du concours d’accès au résidanat. Le gouvernement ne voit aucun inconvénient à ce que celui-ci soit ouvert aux lauréats des facultés privées. Contrairement aux étudiants des facultés publiques qui, eux, veulent obtenir à tout prix l’exclusivité des postes de résidanat dans les CHU du public.

«Le résidanat du public revient aux étudiants du public les plus méritants. Les diplômés des facultés privées peuvent devenir résidents dans leurs propres centres hospitaliers», estime Hamza Karmane, membre de la Coordination nationale des étudiants en médecine (CNEM)- section Rabat. Et d’ajouter: «Compte tenu du rythme actuel de création des facultés privées, il y aura dans l’avenir plus de facultés privées que publiques. Ajoutez à cela le manque de postes au niveau du résidanat».

Le chef de file du BDE de l’UM6SS ne partage pas du tout ce point de vue. Pour Ali Taleb, «le fait d’exclure les lauréats de la Fac privée de passer le concours relève de la pure discrimination, voire de la ségrégation».

Face à cette confrontation d’arguments de part et d’autre, la position du gouvernement est claire et nette. «Le concours de résidanat est ouvert aux docteurs en médecine titulaires d’un diplôme reconnu par l’Etat, qu’il soit issu d’une faculté publique, privée ou même étrangère. Beaucoup de Marocains formés en Tunisie, au Sénégal, voire dans d’autres pays, ont passé avec succès le concours de résidanat et certains d’entre eux sont devenus entre-temps des professeurs d’enseignement supérieur. Pourquoi alors priver les docteurs des facultés privées de passer le concours de résidanat? Sur le plan juridique, ce n’est pas possible», tranche le SG du ministère.

La solution : moins de spécialistes?

Alors, la solution passera-t-elle par l’augmentation du nombre de postes budgétaires réservés aux résidents? Lors de son point de presse conjoint avec le ministre de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur, mercredi à Rabat, le ministre de la Santé a promis de fournir un effort supplémentaire lors des prochaines lois de finances, en rappelant que le nombre de postes réservés aux résidents contractuels est passé de 197 en 2017 à 521 en 2018, avant d’atteindre 700 en 2019.

En contrepartie de cet effort budgétaire, le ministère de la Santé exhorte les futurs résidents à honorer leurs contrats qui s’étalent sur une durée de 8 ans. «Les résidents issus des facultés privées seront soumis aux mêmes conditions et auront les mêmes droits et obligations que leurs confrères du public», assure Hicham Nejmi.

Quid de la répartition des futurs postes de résidanat entre les lauréats du public et du privé? Tout porte à croire que l’on s’orientera vers la mise en place d’un quota public-privé avec des proportions qui restent à définir, dans le cadre de la réforme des études médicales de troisième cycle. Cette solution ne semble pas satisfaire les étudiants des facultés privées qui proposent, au lieu des «quotas discriminatoires», d’organiser un concours national commun, basé sur la méritocratie et «que les meilleurs gagnent».

L’intérêt porté par les futurs docteurs à la spécialité et au résidanat fait réagir le SG du ministère de tutelle qui, en se référant aux statistiques de la fonction publique, fait un constat amer: les médecins spécialistes sont, aujourd’hui, plus nombreux que les médecins généralistes au Maroc, au moment où le besoin se fait de plus en plus ressentir dans les soins de santé primaire, la médecine de famille, etc., des missions naturellement dévolues aux médecins généralistes.

Avec un total de 25.000 médecins (public et privé), soit 7,3 médecins pour 10.000 habitants, le Maroc est loin de répondre aux standards de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soit 1 médecin pour 650 habitants. «Les capacités de formation et d’encadrement doivent être multipliées par 3 ou 4 si on veut atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030 auxquels le Maroc a adhéré. A lui seul, le secteur public ne suffit pas pour rattraper le retard», affirme Hicham Nejmi.

Les facultés privées réussiront-elles à compenser le manque de médecins ?

Pour rappel, en 2007, le gouvernement Jettou avait lancé une stratégie ambitieuse en se fixant un objectif de formation de 3.300 médecins à l’horizon 2020. Douze ans plus tard, on est toujours loin du compte. La capacité actuelle de formation est limitée à 2.000 médecins généralistes par an, un chiffre qui tient compte des capacités additionnelles des établissements privés.

La création des universités privées des sciences de santé a d’ailleurs été motivée par cette volonté de contribuer à combler les besoins en ressources humaines dans les différents métiers de la santé (médecins, infirmiers, ingénierie de santé, etc.).

Mise à part la Faculté privée de médecine de Marrakech, propriété de l’homme d’affaires Mohamed Kabbaj, et dont la naissance a été précipitée dans des conditions floues en septembre 2018, les deux facultés privées de Casablanca et de Rabat appartiennent à des Fondations à but non lucratif: «Cheikh Zaïd Ibn Soltan» à Rabat et «Chaikh Khalifa Ibn Zaïd» à Casablanca.

Les missions de ces deux structures ont été définies respectivement par les lois 28-14 et 29-14, notamment «la création d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche scientifique dans le domaine médical et paramédical, conformément aux normes législatives et réglementaires en vigueur au Royaume du Maroc». Les futurs lauréats de ces universités auront droit à un diplôme de Docteur en médecine reconnu par l’Etat.

Il est important de souligner que les étudiants de l’Université internationale Abulcasis (Fondation Cheikh Zaïd) ne sont pas concernés par la crise public-privé des facultés de médecine. Les étudiants de la faculté privée de Rabat font l’internat et le résidanat au sein de l’Hôpital universitaire international Cheikh Zaïd, adossé à leur propre université. Mieux, celle-ci reçoit même des étudiants du public.

L’Hôpital Cheikh Zaïd à Rabat se distingue de celui de Cheikh Khalifa à Casablanca, ne serait-ce que par l’ampleur de ses capacités d’accueil, avec un total de 500 lits, qui peut être augmenté à 700 lits si on inclut les centres hospitaliers de Khouribga et de Youssoufia (contre seulement 230 lits pour l’hôpital Cheikh Khalifa à Casablanca). Et l’on sait que le ratio de lits par étudiants est décisif dans l’enseignement de la médecine qui s’apprend au pied des malades.

Le privé siphonne les compétences du public?

Ce que les étudiants et même des professeurs du public reprochent aussi aux facultés privées de médecine, c’est le déficit d’encadrement qui les pousse à puiser dans les ressources de l’Etat. Les membres de la CNEM se plaignent des absences répétées de certains professeurs encadrants lors des stages dans les CHU. Pis, bon nombre d’enseignants ont dû quitter le secteur public, attirés par une rémunération plus généreuse.

Hamza Karmane illustre cet «empiètement» par une anecdote survenue le jour des examens en 2017 où les étudiants de deuxième année de médecine dentaire à la Faculté publique de Rabat n’ont pas trouvé le matériel nécessaire pour passer les épreuves car il aurait été prêté à la faculté internationale de médecine dentaire de Rabat (privée).

«Nous ne demandons pas la fermeture des facultés privées. Nous appelons les ministères de tutelle à prendre leurs responsabilités et à assurer une coexistence saine entre les deux systèmes», lance Karmane.

Les deux lois citées ci-haut autorisent certes les deux Fondations Cheikh Zaïd et Cheikh Khalifa à faire appel aux enseignants chercheurs des facultés publiques mais à condition que cela n’affecte pas le fonctionnement normal de ces établissements.

Lors de la création de ces établissements privés, il était question de les doter de suffisamment de ressources pédagogiques pour atteindre rapidement leur indépendance et devenir autonomes dans des délais courts. Mais avec la multiplication des facultés privées de médecine et de médecine dentaire, les ressources humaines sont devenues une denrée rare.

La faculté publique de médecine de Casablanca a vu son taux d’encadrement se détériorer jusqu’à atteindre un ratio d’un professeur pour 19 étudiants contre une moyenne nationale d’un enseignant pour 15 étudiants. Pour remédier à cette situation, le gouvernement a dû programmer 85 nouveaux postes budgétaires à la seule Faculté de médecine de Casablanca à l’horizon 2021.

La tension sur le ratio étudiants/encadrants est encore plus aggravée au niveau des terrains de stage dans les hôpitaux, annexés aux facultés privées de médecins et ce, en l’absence de normes précises.

«Nous pouvons discuter avec le ministère de l’Enseignement supérieur pour établir des critères supplémentaires en matière d’encadrement», soutient le SG du ministère de la Santé. En France par exemple, dans chaque centre hospitalier, il faut compter en moyenne 6 étudiants pour chaque enseignant.

Pour combler ce gap, l’une des solutions préconisées par le ministère de la Santé consiste à faire appel à des pratiquants hospitaliers qui peuvent exercer un certain nombre de missions d’encadrement au profit des médecins internes et résidents. «Le ministère de la Santé est prêt à faire un effort en faveur de la mise à niveau des terrains de stage et contribuer à la formation des maîtres de stage», suggère Hicham Nejmi.

L’injuste préjugé des étudiants du public pour ceux du privé

La bataille que mènent les étudiants pour améliorer la formation et l’encadrement au sein des facultés et CHU publics est tout aussi légitime que celle menée par les étudiants des facultés privées pour faire valoir une reconnaissance de diplôme déjà actée par la loi. Ces derniers veulent combattre certains stéréotypes qui nuisent à leur image.

Les étudiants des facultés publiques usent d’un argument fallacieux selon lequel les étudiants inscrits à l’UM6SS seraient moins bons car n’ayant pas réussi leur baccalauréat à note équivalente à celle requise pour le concours d’entrée aux facultés publiques.

Or, la majorante du Bac 2016 au Maroc, Oumaima Qassab, est étudiante à l’UM6SS. Idem pour la meilleure bachelière marocaine en 2017, Imane Touil. «La grande partie des étudiants de l’UM6SS ont été de brillants lycéens», se défend le BDE de l’UM6SS dans un communiqué.

Il y a 20 ans, poursuit la même source, aucune note de sélection n’était fixée pour participer au concours d’accès à la fac de médecine. Mieux, en France et en Belgique voire dans plusieurs autres pays, il suffit d’avoir un Bac pour passer le concours d’accès aux études de médecine.

Dans ce contexte qui ressemble à une «guerre froide» entre les frères ennemis du public et du privé, le gouvernement est appelé à prendre ses responsabilités et à corriger les imperfections qui ont caractérisé la phase de lancement des universités privées des sciences de la santé, notamment en termes de disponibilité de ressources pédagogiques et surtout de terrains de stage ô combien nécessaires pour la formation des futures blouses blanches du Maroc.

Car il est clair aujourd’hui que le public ne forme pas suffisamment de médecins pour couvrir les besoins du pays. Le concours du privé est indispensable. Encore faut-il qu’il s’opère dans les règles de l’art. L’exemple de l’université internationale Abulcassis des Sciences de la Santé est un modèle à suivre.

Par Wadie El Mouden et Youssef El Harrak
Le 01/06/2019 à 16h30