Lorsque le ministre délégué auprès du chef du gouvernement, chargé de l’Administration de la Défense nationale, Abdellatif Loudiyi, prend la parole devant la commission parlementaire pour présenter le budget 2026, les premières minutes suffisent à mettre fin à plusieurs jours d’agitation médiatique. Les chiffres avaient été commentés trop vite, parfois mal compris, souvent extrapolés. Le ministre remet les choses à leur place. Le Maroc augmente son budget, oui, mais il ne change pas de logique. Il poursuit une stratégie patiemment construite, sans répondre aux démonstrations de force du voisin de l’Est. Et surtout, il confirme que l’industrie militaire nationale, longtemps évoquée comme une aspiration, est devenue une réalité.
La première clarification porte sur les chiffres. Le budget de défense s’élève à 73 milliards de dirhams pour 2026, soit une hausse d’environ 3,3 milliards, correspondant à un peu moins de 5%.
Une progression qui demeure contenue et qui reflète les besoins opérationnels et les programmes déjà contractualisés, comme l’avait précédemment expliqué un administrateur du très informé forum FAR-Maroc, dans une déclaration pour Le360.
L’élément le plus marquant se trouve ailleurs: la part du budget militaire strict recule légèrement dans le budget de l’État, passant de 4,5% en 2025 à 4%. Une baisse qui contredit les discours évoquant une brusque montée en puissance. Loudiyi insiste également sur un point devenu central dans le débat public. Les 157 milliards de dirhams inscrits en tant qu’engagements anticipés ne constituent en aucun cas un budget dépensé ou même disponible pour l’année à venir.
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Ce montant correspond à des autorisations pluriannuelles permettant de signer des contrats de long terme, en particulier dans la défense où les cycles d’acquisition peuvent s’étendre sur une décennie. Le Maroc maintient ainsi une discipline budgétaire rigoureuse, tout en garantissant la continuité de ses programmes stratégiques, affirmait notre interlocuteur.
Cette précision est essentielle, car elle permet de replacer le débat dans son cadre réel, surtout lorsqu’on observe l’environnement régional. L’Algérie a validé pour 2026 un budget militaire d’environ 25 milliards de dollars, soit près de 20% de son budget global... et plus de 3 fois le budget annoncé par Rabat (≈ 7,91 milliards de dollars). Jamais le pays n’avait atteint un tel niveau. Cette hausse s’inscrit dans une politique structurelle de surarmement, alimentée depuis une dizaine d’années et amplifiée ces derniers exercices. En face, Rabat adopte une ligne diamétralement opposée.
Comme le confirme Mohammed Loulichki, Senior fellow au Policy center for the new south (PCNS), spécialiste en diplomatie et résolution des conflits, «le Maroc n’est le rival de personne. Il a sa stratégie, et nous avons une vision royale qui entend conduire le Maroc vers une société paisible, développée, démocratisée et ouverte sur le monde, politiquement, diplomatiquement et culturellement. Nous ne sommes contre personne».
«Le Maroc n’entre pas dans une course à l’armement. Il ne suit pas la logique de volume d’Alger. Il modernise son outil de défense, certes, mais en fonction de ses besoins opérationnels, non en réaction aux intentions de son voisin. Cette différence de philosophie est fondamentale. Alger empile, Rabat structure. Alger augmente pour montrer, Rabat augmente pour transformer. C’est là que se trouve la clé de lecture du budget 2026», commente un expert en défense.
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Et cette transformation porte un nom: l’industrie militaire nationale. Pendant des années, Rabat évoquait l’ambition de développer des capacités locales de production, de maintenance, d’assemblage et d’exportation. Cette ambition s’est incarnée sur le terrain. Loudiyi l’a confirmée.
Conformément aux dispositions du décret n°2.23.925 du 20 juin 2024 relatif à la création de deux zones destinées à l’accélération industrielle de la défense, toutes les mesures nécessaires ont été prises pour lancer les travaux d’aménagement des deux zones afin qu’elles soient prêtes à accueillir les investisseurs de ce secteur avant la fin de l’année 2026.
Depuis le lancement de cette feuille de route stratégique, dix projets industriels liés à des activités de défense ont été autorisés, avec un investissement global estimé à 260 millions de dollars, devant permettre la création de plus de 2.500 postes d’emploi directs. Ces projets incluent cinq programmes autorisés et cinq autres encore à l’étude ou en cours de finalisation, répondant aux besoins des Forces armées royales en matière de capacités opérationnelles avancées. Ils visent aussi la satisfaction des exigences de complémentarité entre les systèmes et la possibilité de consacrer une partie de la production à l’exportation.
C’est donc une réalité qui s’organise, se consolide et commence à se concrétiser. On n’en saura pas davantage, mais la tendance est là. Et pour comprendre ce qu’elle représente, il suffit de regarder ce qui se passe sur le terrain. L’exemple le plus emblématique se trouve à Berrechid. L’usine Tata Advanced Systems Maroc y a été inaugurée. Elle produira les blindés WhAP 8x8. La nouveauté réside dans le taux d’intégration locale, déjà fixé à 35% et qui doit rapidement atteindre 50%.
Cette usine est pressentie pour soutenir la croissance économique régionale, avec la création de 90 emplois directs et de 250 emplois indirects, ainsi qu’un plan de montée en puissance qui prévoit une forte augmentation de la production à moyen terme.
Lors de l'inauguration, mardi 23 septembre à Berrechid, de l'usine TATA Advanced Systems Maroc (TASM).
Dotée d’infrastructures modernes, l’usine TASM servira de plateforme régionale pour l’exportation des véhicules WhAP 8x8 notamment vers l’Afrique.
Un autre chantier majeur, cette fois orienté vers l’aéronautique, a été lancé à Benslimane. La première pierre d’un centre de maintenance dédié aux F-16 et C-130 a été posée en octobre 2025. Le projet est piloté par Maintenance Aéro Maroc, en partenariat avec Sabena Engineering, Lockheed Martin et MedZ.
Ce futur site, qui s’étendra sur plus de 8.000 m², abritera un hangar conçu pour effectuer la maintenance lourde et la modernisation des avions F-16 et C-130 Hercules. Mais pas seulement. Il est également appelé à devenir un centre régional, avec la capacité d’accueillir et d’entretenir des appareils destinés à l’export, selon Amine Chafik, directeur général de Maintenance Aéro Maroc.
Lors de la pose de la première pierre d’un nouveau hangar de maintenance de pointe sur la plateforme aérienne de Benslimane, le 15 octobre 2025.
À ce deuxième projet s’ajoute un troisième. Mercredi 12 novembre, BlueBird a confirmé à nouveau l’installation prochaine d’une unité de production de drones SPY-X au Maroc. L’entreprise annonce avoir accueilli une équipe technique marocaine pour un programme de formation approfondi sur ses procédés industriels.
«Cette étape n’est pas anecdotique. Le SPY-X sera ainsi fabriqué sur place, avec un transfert de technologie assumé, organisé et accompagné», fait savoir notre interlocuteur.
Une autre annonce vient compléter ce tableau, portée cette fois par un acteur turc: Baykar, à travers Atlas Defense, qui prévoit de s’implanter à Benslimane. «Là encore, la logique est similaire: transfert de technologie, formation, création d’une filière localisée. Le Maroc construit des segments complémentaires d’une même chaîne: blindés, drones, aéronautique, maintenance, production de composants, systèmes embarqués. L’ensemble dessine un écosystème national qui, sans bruit, se développe et s’installe durablement», fait observer notre interlocuteur.
Cette montée en puissance industrielle accompagne les priorités opérationnelles. Le budget 2026 met l’accent sur les engagements en cours: renforcement de la surveillance frontalière, acquisition d’hélicoptères Apache, renouvellement des blindés, développement de l’artillerie côtière, modernisation des patrouilleurs maritimes, comme avait précédemment expliqué un administrateur de FAR-Maroc.

































