Vidéo. Tétouan: le dernier carré de la tannerie

Le360

Héritage historique et culturel, la médina de Tétouan, classée patrimoine mondial par l’Unesco en 1997, est aujourd’hui en passe de perdre un de ses derniers joyaux: la tannerie, vieille de plus de cinq siècles, et, en conséquence, de perdre le séculaire artisanat du cuir, en danger. Ambiance.

Le 16/07/2019 à 08h39

Si la tannerie de Tétouan se meurt, la vie de la médina, tout autour du dernier carré des tanneurs, ne s'est pas pour autant arrêtée.

En prenant par Bab Rouah, l'imposante porte de la médina, qui jouxte le palais royal de Tétouan, vous voilà plongés au coeur d'une ville très ancienne où la vie semble pourtant bien présente: les ruelles sont bondées, et les Tétouanais se pressent dans les petites échoppes de bijoutiers, auprès des vendeurs de tissus et de vêtements traditionnels de l’avenue Mohammed Ben Larbi Torres.

La médina de Tétouan, inestimable patrimoine culturel marocain, fait partie du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1997.

Si le legs architectural qu’elle recèle est inestimable, avec ses bâtiments mêlant styles marocain et andalou, qui datent du XVe au XVIIIe siècle, avec, aussi, ses remparts qui datent de la fin du XVe, la médina abrite de Tétouan également les dignes héritiers d’un savoir-faire très ancien mais, aujourd’hui, en voie d’extinction.

Une fois l'avenue Mohammed Ben Larbi Torres traversée, vous voilà sur une placette, où vous pourrez acheter des produits traditionnels typiquement tétouanais: des couvertures et des tapis en laine.

Les odeurs de bois et de cuir, qui émanent des petits bazars et des derniers ateliers d’artisans, se mêlent à celles du thé à la menthe, servi dans de grands verres à la façon chamalie... Des effluves de kif émanent même des petits cafés avoisinants. 

Apres avoir sillonné les ruelles de la médina en direction de Bab Elmkaber (la "Porte des cimetières"), c’est au bout de l’une d’entre elles que l’on découvre le trésor historique de la médina. Dissimulée aux regards peu curieux, la voici: la tannerie de Tétouan. 

La tannerie de Tétouan ou Dar Edbagh est vieille de plus de cinq cents années.

Les Mudéjares, soit les musulmans d’Espagne, et les Morisques, soit les musulmans convertis de force au christianisme, et quand bien même expulsés d’Andalousie à la lointaine époque de la reconquista, ont poursuivi à Tétouan leur savoir-faire traditionnel, artisanal: à Tétouan, on tanne le cuir comme dans l'Andalousie du Moyen Age. 

A contrario de l'ambiance de la médina, pleine de vie, le contraste qu'offre la tannerie, lugubre, est frappant.

L'endroit est désert. L’ambiance qui règne dans ce vaste espace d'un peu plus de 2.700 mètres carrés est même carrément macabre, et pas seulement à cause de la proximité des cimetières de la ville. 

Un tanneur, un seul, travaille les peaux dans l’une des 380 fosses.

Les mauvaises herbes ont envahi une partie d’entre celles-ci.

Même l’odeur nauséabonde qui aurait dû s’échapper de la tannerie est désormais absente.

Le360 est alors allé à la rencontre de Lahcen Bouzid, l'un des derniers tanneurs de Tétouan.

«Cette maison a cinq siècles d’âge et maintenant elle risque de disparaître. Auparavant, il y avait plus de 120 personnes qui travaillaient ici, et aujourd’hui nous ne sommes plus que quatre. Cela fait plus de cinq cents ans que l’on travaille les peaux de manière traditionnelle dans cette maison, mais aujourd’hui, le prix des matières premières a augmenté, et les cinquante derniers tanneurs sont morts et n’ont pas été remplacés», se désole-t-il, et de poursuivre, avec une lueur d'espoir, la voix chargée d'émotion: «nous sommes prêts à relancer cette activité et à former les jeunes. Après cinq cents années, on ne peut pas laisser mourir cette maison». 

De fait, la tannerie est presque laissée à l’abandon et ce savoir-faire ancestral va disparaître, si rien n'est fait pour le sauver. Une situation qui paraît incompréhensible, au vu de l’attrait touristique et économique des célèbres tanneries de Marrakech et de Fès.

L'auteur de ces lignes, médusé, a même constaté, lors de ce reportage, que plusieurs personnes étaient venues uriner à l’intérieur même de la tannerie. Interrogé à ce sujet, Lahcen Bouzid a répondu que se "soulager" à cet endroit était désormais devenu monnaie courante et que lui-même se trouvait dans un état total d'impuissance, devant ces actes d’incivime répétés. 

A proximité de Dar Edbagh, le nom consacré de la tannerie de Tétouan, on arrive immédiatement sur le quartier des artisans du cuir, El Kharrazin (soit "les cordonniers"), où seuls quelques artisans s’activent encore, alors que la plupart des petites échoppes sont devenues des points de vente, plutôt que des ateliers artisanaux. 

Interrogés sur l’origine du cuir qu’ils étaient en train de travailler, les artisans ont répondu que la matière première leur venait de Fès. Une aberration, quand, à quelques pas de là, une tannerie, en bonne et due forme, se meurt.

Et face à la hausse, logique, du prix des matières premières, puisqu'en provenance d'une autre ville, et en l'absence de la relève d'une nouvelle génération de tanneurs tétouanais, et de la transmission de ce savoir-faire ancestral, un énorme doute est permis sur les perspectives d'un avenir pour les artisans du cuir de la médina de Tétouan. 

Mohammed, artisan du cuir de père en fils, a un ton désespéré. «Aujourd’hui, l’artisanat du cuir est en train de disparaître. Avant, on avait la tannerie et on se fournissait juste à côté. Maintenant, nous sommes obligés de ramener le cuir de Fès ou d’ailleurs», se lamente-t-il...

Ils étaient autrefois plus d’une centaine, ils ne sont plus aujourd'hui que quelques-uns à faire vivre ce savoir-faire ancestral, pourtant reconnu comme étant l’une des essences mêmes d'un vieux Maroc.

Par Mehdi Heurteloup
Le 16/07/2019 à 08h39