Coronavirus: décriés dans de nombreux pays, les corticoïdes font leurs preuves au Maroc

Des médecins au chevet d'un patient, à Tanger.

Des médecins au chevet d'un patient, à Tanger. . DR

Les corticoïdes prouvent leur efficacité dans la diminution de la mortalité due au Covid-19. Alors que leur administration aux personnes infectées par le coronavirus fait débat dans le monde, au Maroc, la question est tranchée et on applique la corticothérapie dans la moitié des cas.

Le 02/05/2020 à 12h18

Face à l’épidémie de Covid-19, chaque pays applique son propre protocole de soins, et chaque établissement hospitalier y va également de son propre traitement complémentaire pour venir à bout d’un virus qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Pour en savoir plus quant à l’application de la corticothérapie au Maroc, nous avons contacté le professeur Jaâfar Heikel, épidémiologiste et infectiologue, expert international et directeur général de la clinique de Vinci à Casablanca. L’un des établissements hospitaliers de Casablanca qui accueille et soigne des patients infectés par le Covid-19.

D’emblée, celui-ci nous confirme le recours aux corticoïdes «pour un patient sur deux» au sein de son unité. Mais il établit toutefois une distinction entre un traitement de base et un traitement complémentaire. «Il ne faut pas associer le traitement du Covid-19 avec la corticothérapie», insiste le Professeur Heikel, car «ce serait une erreur».

Traitement de base et traitement complémentaire, un succès en deux temps

Ainsi s’agissant du protocole national, lequel émane des directives du ministère de la Santé, celui-ci est appliqué par tous les médecins comme un traitement de base.

En traitement de première intention au Maroc, on prescrit de l’hydroxychloroquine et de l’azymicine, c’est-à-dire plaquénil et azithromycine ou de la chloroquine et de l’azithromycine, explique le professeur Heikel en précisant que le Maroc fait partie des pays où «nous avons le taux d’utilisation (de ce traitement) le plus élevé au monde», soit 100%, contre 83% en Italie et 39% aux Etats-Unis pour ne citer que ces deux pays.

Fort bien, mais à quel moment et pourquoi prescrire des corticoïdes alors même que leur usage est fortement déconseillé dans d’autres pays en raison de leur caractère anti-inflammatoire?

En plus de ce traitement de base, des médicaments qu’on dit complémentaires peuvent être utilisés par les médecins, chose autorisée par le ministère de la Santé, précise le Professeur Heikel.

Ces traitements complémentaires sont ainsi administrés «en fonction de l’état clinique du patient», explique-t-il.

Et de retracer la chronologie des événements qui a conduit les médecins au Maroc à appliquer ce traitement complémentaire. «Avec le temps, on a commencé à comprendre la physiopathologie de la maladie et on s’est aperçu que ce n’était pas une maladie infectieuse classique, mais que c’était une maladie qui avait plusieurs phases».

«Une première phase purement infectieuse, c’est-à-dire une action virale, ensuite une phase inflammatoire, puis une phase qui est à la fois infectieuse et inflammatoire avec des risques thromboemboliques au niveau de différents organes et en particulier des poumons. Et enfin, on s’est aperçu que c’était une maladie infectieuse qui avait aussi une composante vasculaire. Elle touche les vaisseaux et peut créer des micros embolies», poursuit le spécialiste.

Face à ces constats, l’unité du professeur Heikel a été parmi les premières au Maroc à utiliser la corticothérapie dans certains cas. «Quand nous sommes face à un processus inflammatoire important ou quand nous avons des indicateurs biologiques qui sont extrêmement dangereux ou qui risquent de mettre en jeu le pronostic vital du patient, et bien nous introduisons des médicaments qui permettent de lutter contre cette phase, en l’occurrence de la corticothérapie, mais aussi des antiagrégants plaquettaires, des anticoagulants, de la vitaminothérapie C, du sulfate de zinc, etc.»

«C’est un protocole thérapeutique que tous les médecins connaissent», explique pour sa part le docteur Nabila Rmili, directrice de la délégation régionale du ministère de la Santé à Casablanca-Settat. Elle ajoute que quand les premiers résultats positifs ont été constatés chez les patients, «on n’a plus hésité une seconde à administrer la corticothérapie aux cas graves».

«Nous avons découvert que les cas de certains patients qui présentaient une forte inflammation, déterminée par les capteurs biologiques, s’amélioraient après introduction de corticothérapie à forte dose. Et on a ainsi pu éviter la réanimation grâce à ce traitement», nous annonce le docteur Nabila Rmili, faisant fi des interdictions émises par les autres pays quant à l’utilisation d’anti-inflammatoires.

Une décision collégiale prise par le staff médical, seul décisionnaire, au cas par cas en fonction d’une pathologie associée, que ce soit de l’ordre du diabète, de l’hypertension, de l’obésité… «autant de facteurs aggravants qui engendrent la nécessité de corticothérapie», tranche Nabila Rmili.

Les corticoïdes pour tous?

«Est-ce que nous utilisons systématiquement pour tout le monde les corticoïdes? La réponse est non», nous affirme le professeur Heikel. «D’abord ce n’est pas nécessaire, et Dieu merci, nous n’avons pas de phases inflammatoires extrêmement importantes pour tous les patients», poursuit-il.

A la clinique de Vinci, «une personne sur deux va avoir besoin de corticoïdes», quantifie Jaâfar Heikel, mais attention encore une fois à ne pas faire de raccourcis faciles et à généraliser. «Il ne faut pas associer pour autant corticothérapie avec gravité. Il faut associer corticothérapie, antiagrégants ou anticoagulants avec risques», précise-t-il.

Et de conclure, «la gravité est prise en charge par les réanimateurs mais nous, sur le terrain, lorsque nous voyons qu’il y a des facteurs de pronostics, nous mettons en face les médicaments pour contrôler ces facteurs de pronostics et pour éviter la mauvaise évolution».

Des résultats plus que prometteurs

Humble, quand Jaâfar Heikel parle des résultats obtenus, il le fait en veillant bien à respecter le principe d’honnêteté intellectuelle. Ainsi, avant de parler chiffres, l’épidémiologiste explique qu’au Maroc, «toute personne symptomatique ou asymptomatique est hospitalisée» et de saluer cette bonne décision de l’Etat marocain qui permet de faire un confinement sous surveillance, «chose très raisonnable d’autant que nos services ne sont pas encore débordés», poursuit-il. Et d’ajouter: «la phase compliquée est celle des dix premiers jours et c’est une bonne chose qu’elle se passe sous surveillance».

Venons-en maintenant aux chiffres. «Nous avons à peu près 87% de très bonnes évolutions», annonce-t-il. Un score plus que probant qui pourrait en surprendre plus d’un à l’heure où d’autres pays occidentaux croulent sous les cas en réanimation et en soins intensifs. «Lorsque les patients présentent un certain nombre de facteurs biologiques ou cliniques qui attirent notre attention, on rajoute ces médicaments (complémentaires) et les résultats sur le terrain sont très bons. Nous n’avons rien inventé! Ce sont des choses qui existent depuis longtemps, que nos collègues réanimateurs utilisent, que d’autres collègues utilisent pour d’autres pathologies lorsqu’on voit qu’il y a des phénomènes inflammatoires importants», indique Jaâfar Heikel.

Il n’en demeure pas moins que dans cette clinique casablancaise, située dans une région qui compte près de 1.200 cas, soit près de 27% de l’ensemble des cas de l’ensemble du territoire, les résultats sont parlants.

«Dans notre unité de soins, nous suivons 90 patients depuis le 20 mars, soit depuis 6 semaines. Aujourd’hui, 26% de patients sont encore hospitalisés, mais en bon état de santé. Les autres, une soixantaine, sont soit guéris (56%) soit en phase de guérison finale (87%). 5 cas compliqués sur les 90 cas sont partis en réanimation. Malheureusement, 3 d’entre eux sont morts, et 2 sont sortis de réanimation», énumère le professeur Heikel.

Soigner les patients ou polémiquer sans fin?

Plutôt que de polémiquer sur le recours à la corticothérapie, comme on continue d’ailleurs de polémiquer ailleurs sur l’usage de la chloroquine, le Maroc a pris sa décision en fonction des résultats observés sur le terrain.

Peut-on pour autant affirmer que la corticothérapie réduit la mortalité des malades du Covid-19? «Il faut considérer l’ensemble du protocole», nous répond Nabila Rmili. «On ne peut pas dire que ce soit uniquement la corticothérapie qui évite le passage en réanimation, mais tout le processus thérapeutique».

Toutefois, la directrice de la délégation régionale du ministère de la Santé à Casablanca-Settat le concède: «vous avez vu les chiffres au Maroc? La baisse du taux de mortalité est vraiment très parlante. Nous, en tant que thérapeutes de notre pays, n’hésitons pas à donner le plus de chances à nos patients afin qu’ils se sentent bien, et éviter le passage en réanimation. Et en effet, la corticothérapie fait partie intégrante du protocole qui a démontré son efficacité chez certains patients» conclut-elle, en rappelant que ce traitement, tant décrié à travers le monde, a été administré au Maroc près d’une semaine après la mise en œuvre du protocole de base, soit aux alentours du 27 mars.

Il est à rappeler que le nombre de décès dus au Covid-19 est en continuelle baisse au Maroc depuis la généralisation de la corticothérapie dans le traitement de patients infectés par le virus. Le taux de létalité (c’est-à-dire le nombre de patients décédés par rapport au total de personnes infectées), s’établit aujourd’hui à 3,7%. Rapporté à la population, le taux de mortalité s’établit à 0,48 pour 100.000 habitants, alors qu’il est bien supérieur dans plusieurs pays occidentaux.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 02/05/2020 à 12h18