Depuis la création du Conseil national de la presse, le Maroc s’est doté d’un cadre juridique pensé comme un garde-fou éthique et un pilier de la liberté de l’information. Pourtant, l’expérience du premier mandat a mis en lumière des carences majeures, difficiles à ignorer. Le texte actuel laisse subsister des zones grises interlopes, à commencer par l’absence d’un dispositif clair de supervision et de convocation des élections.
Ce vide a placé le Conseil dans une situation délicate. La profession s’est alors retrouvée face à une évidence. Sans correction de ces failles, le modèle de gestion du secteur ne pouvait ni se consolider ni assurer sa propre continuité. D’où la nécessité, aujourd’hui, d’un cadre juridique revu, renforcé et enfin à la hauteur des exigences du secteur.
La réforme annoncée, qui a été adoptée en juillet à la majorité à la Chambre des représentants et qui sera discutée ce lundi à la Chambre des conseillers, arrive donc à un moment clé, celui où la profession, forte de son vécu, sait exactement ce dont elle a besoin pour consolider une autorégulation robuste et viable, affirment plusieurs professionnels. Et ce dont la profession a besoin, ce sont des médias professionnels, capables de répondre aux défis du moment et de contrer la prolifération de fake news par une réactivité instantanée à leur diffusion. C’est pour cela que le pays a besoin de médias forts, capables de se développer et de s’arrimer aux standards internationaux de la profession.
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L’élargissement du texte de 54 à 97 articles n’est ainsi pas anodin. Une mesure qui traduit une volonté claire, celle de doter le Conseil national de la presse de compétences élargies, préciser sa composition, encadrer les mécanismes électoraux et les procédures d’investiture et surtout lui offrir des bases juridiques solides, capables de tenir dans la durée
Le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaid, l’a d’ailleurs rappelé lundi dernier devant les élus: ce projet de loi a pour objectif de renforcer les pouvoirs, les compétences et la légitimité juridique du CNP, afin qu’il puisse exercer son rôle en toute indépendance, sans zones d’ombre, sans ambiguïtés procédurales.
Quand les professionnels reprennent la main sur leurs représentants
L’introduction d’une Commission de supervision des élections pour la première fois constitue l’une des avancées majeures du texte. Ce mécanisme vient enfin combler l’un des vides juridiques les plus flagrants du dispositif actuel. Il garantira la transparence et la régularité des scrutins, mettra fin aux incertitudes qui ont paralysé le précédent mandat.
Si ce premier chantier était indispensable, il en ouvre immédiatement un autre, plus sensible encore. C’est le mode de scrutin qui concentre une grande partie des discussions, la question de la représentativité étant au cœur du débat, et pour cause. Le texte actuel avait été préparé par le gouvernement en concertation directe avec les acteurs du secteur, à une époque où le Maroc n’avait pas encore d’expérience réelle en matière d’autorégulation. Depuis, la situation a évolué. C’est pourquoi la commission provisoire a mené une large consultation auprès de l’ensemble des professionnels avant de remettre un rapport détaillé au gouvernement. C’est cette démarche, fondée sur l’écoute du terrain, qui a inspiré la nouvelle approche.
Dans ce cadre, la commission intérimaire a clairement recommandé l’adoption du vote individuel pour les journalistes candidats au Conseil. L’objectif est explicite. Mettre fin aux pratiques contestées associées aux élections par listes et permettre aux journalistes de choisir leurs représentants de manière directe, transparente et équitable, en s’en remettant exclusivement au vote.
Concernant la procédure d’investiture des éditeurs, plusieurs professionnels soulignent la nécessité de sécuriser ce processus. L’essor de nombreux sites électroniques non structurés mais détenteurs d’une carte d’éditeur a mis en évidence la vulnérabilité du système actuel et l’urgence de prévenir les mêmes dérives électorales. L’objectif n’est pas d’exclure, mais de garantir que seuls les acteurs répondant réellement aux critères professionnels fixés par la loi participent au choix des représentants.
Il est d’ailleurs révélateur que le débat public se focalise aujourd’hui sur deux articles seulement, alors que le projet de loi en compte 97. L’essentiel du texte, qui ne fait l’objet d’aucune polémique, élargit pourtant les prérogatives du Conseil, renforce la logique d’autorégulation et offre de nouvelles garanties procédurales. Parmi elles, la possibilité pour tout journaliste ou éditeur de contester une décision du Conseil devant le tribunal administratif en cas d’irrégularité, avec l’appui d’une commission d’appel dédiée.
Cette réforme arrive donc au bon moment. Elle ne remplace pas ce qui existe déjà, elle le précise, elle l’affermit, elle l’adapte à un métier qui n’a plus rien à voir avec celui d’il y a dix ans. Ce lundi, les conseillers auront à trancher. Leur vote dira si la profession peut avancer avec un cadre enfin stabilisé, clair dans ses règles comme dans ses ambitions. L’autorégulation a besoin de fondations solides, le texte proposé cherche justement à les poser. À la Chambre maintenant de prendre ses responsabilités en accompagnant un mouvement salutaire pour soutenir les médias face aux défis du 21ème siècle.








