Biens algériens expropriés à Rabat: les dessous d’une «affaire» que le régime veut exploiter pour invisibiliser une crise interne

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et son ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf. Au fond, le siège de l'ambassade d'Algérie à Rabat.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et son ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf. Au fond, le siège de l'ambassade d'Algérie à Rabat.

Derrière le scandale provoqué par Alger autour de trois biens immobiliers propriété de l’État voisin que le Maroc projette d’exproprier, se dissimule une bien plus profonde crise que vit le régime à l’aune de ses multiples échecs diplomatiques et de la prochaine élection présidentielle, dont l’organisation paraît de plus en plus improbable. Parade toute trouvée: mobiliser l’opinion contre le Royaume en alimentant une vraie fausse affaire.

Le 18/03/2024 à 23h06

On en sait un peu plus sur les motivations de la levée de boucliers enclenchée par le ministère algérien des Affaires étrangères contre le Maroc. Ceci, sous prétexte du lancement par les autorités du Royaume d’une procédure d’expropriation de biens immobiliers appartenant au pays voisin à Rabat, au nombre de trois. La procédure, strictement administrative, est somme toute banale. Mais dans un communiqué rendu public lundi 18 mars, la diplomatie algérienne dénonce une «confiscation (...) contraire au droit international» et une «escalade» méritant des «représailles». Il s’agit pour le département d’Ahmed Attaf d’une «nouvelle phase escalatoire dans ses (le Maroc, NDLR) comportements provocateurs à l’égard de l’Algérie». La bête est lâchée et au MAE algérien de condamner «dans les termes les plus énergiques» cette «opération de spoliation caractérisée» et de dénoncer «avec force» son illégalité et son incompatibilité avec «les devoirs qu’assume tout État membre de la communauté internationale». Ainsi, l’Algérie «répondra à ces provocations par tous les moyens qu’elle jugera appropriés». Y compris à l’ONU!

Le tohu-bohu et les cris hystériques du régime compulsif cachent très mal les réelles visées qu’il assigne à son communiqué culte. Celles-ci consistent en effet à cacher la forêt d’échecs diplomatiques de la «nouvelle Algérie», ses crises internes multiformes et, surtout, l’incapacité du régime à enclencher un processus électoral un tant soi peu honorable en vue de la présidentielle de décembre prochain. L’éclairage est d’une source bien informée: «La volonté du pouvoir algérien est claire, à savoir créer de toutes pièces un nouveau conflit avec le Maroc en sortant un communiqué totalement en décalage avec la nature du problème. En temps normal, connaissant le fameux orgueil (nif) algérien, les autorités de ce pays nous auraient allègrement jeté ces biens immobiliers à la figure en affirmant que l’Algérie vaut largement mieux que cela. Si ce pays tient tant à en faire une affaire et un scandale, c’est par rapport au contexte politique. À l’heure où nous parlons, soit à huit mois du scrutin présidentiel, aucun candidat déclaré n’est connu. Et nous ignorons si l’actuel président, Abdelmadjid Tebboune, aura le feu vert du Système pour se représenter.» C’est à l’aune de cette présidentielle incertaine qu’il faut situer la réaction hystérique du régime algérien, qui espère rassembler le fameux front intérieur autour d’un ennemi extérieur imaginaire.

Le Maroc ne jouera pas la partition algérienne

S’ajoute à la perte totale de contrôle sur les affaires intérieures une crise sans précédent avec les pays du Sahel, qu’Alger considérait comme son espace vital. «Même sur la cause palestinienne et la situation à Gaza, l’Algérie, qui en fait son affaire, s’est retrouvée désarmée. C’est plutôt le Maroc, sous la conduite du roi Mohammed VI, qui a pris les devants en dépêchant récemment, et c’est inédit, une aide terrestre aux populations. Cette action a d’ailleurs fait très mal au régime algérien, surtout au vu de la réaction des Palestiniens eux-mêmes et de la communauté internationale. Tout cela a créé une forme de nervosité et un recours à la facilité: faire de la haine du Maroc un élément mobilisateur pour faire diversion des problèmes intérieurs et de l’isolement sur le plan international. Le Maroc ne tombera jamais dans le piège et ne jouera pas la partition algérienne», fait savoir notre source.

La procédure d’expropriation fait l’objet d’échanges avec les autorités algériennes depuis 2022

Le fond de l’affaire en débat est, lui, tout autre. Contrairement aux allégations algériennes qui avancent que trois biens immobiliers font l’objet d’une procédure d’expropriation, notre source précise qu’il n’en est rien. Les locaux de la chancellerie et de la résidence de l’ex-ambassade d’Algérie à Rabat ne sont concernés par aucune procédure. Contrairement à ce que prétendent les autorités algériennes, ces locaux –dont le terrain a d’ailleurs été offert à titre gracieux par les autorités marocaines– n’ont fait l’objet d’aucune «confiscation». Tant l’ambassade, sise avenue Mohammed VI de Rabat, que la résidence de l’ambassadeur, près de la mosquée Lalla Soukaina, ainsi que les consulats de Casablanca et d’Oujda demeurent respectés et protégés par l’État marocain. Même en l’absence de privilèges et d’immunités consécutivement à la rupture unilatérale des relations diplomatiques par l’Algérie. «Quand il n’y a plus de relations diplomatiques, il n’y a plus d’ambassade. Mais le Maroc continue de respecter les us diplomatiques en entretenant ces édifices», précise notre interlocuteur.

Le fait est qu’un seul bâtiment parmi les trois biens qui font l’objet d’une procédure d’expropriation peut être considéré comme une dépendance de l’ambassade d’Algérie. Celui-ci fait d’ailleurs l’objet de discussions entre les autorités marocaines et algériennes, et ce, depuis janvier 2022. Ce que le ministère des Affaires étrangères de l’Algérie, habitué des mensonges, s’est bien gardé de mentionner dans son communiqué hystérique.

Il s’agit d’un local vide attenant immédiatement au siège du ministère des Affaires étrangères, actuellement en extension. Cette opération d’élargissement a concerné, au cours des dernières années, plusieurs bâtiments diplomatiques, notamment les ambassades de la Côte d’Ivoire, de l’Autriche, de la Suisse… et des États-Unis. D’un commun accord avec ces quatre pays, les locaux qui abritaient leurs ambassades, à proximité du ministère des Affaires étrangères, ont été rachetés par le Royaume du Maroc. La même procédure est entamée pour l’ambassade du Danemark. Et c’est dans le même esprit qu’un dialogue a été ouvert avec l’Algérie. La volonté des autorités marocaines est également de déplacer les sièges et les dépendances des ambassades du quartier Hassan.

Les autorités algériennes informées et en accord

Des documents officiels dont Le360 détient copie attestent que les autorités algériennes ont été, depuis plus de deux ans, étroitement associées et dûment informées en amont et à toutes les étapes, en toute transparence. Dès janvier 2022, le ministère a fait part, officiellement et à plusieurs reprises, aux autorités algériennes du souhait de l’État marocain de se porter acquéreur dudit local, à l’amiable. Le consul général d’Algérie à Casablanca a été reçu au ministère à ce sujet pas moins de quatre fois. En outre, huit écrits officiels ont été transmis aux autorités algériennes, lesquelles ont répondu par pas moins de cinq écrits officiels. D’ailleurs, dans deux de leurs écrits, les autorités d’Alger ont répondu à l’offre marocaine en indiquant qu’«une évaluation domaniale de ces biens est en cours» et qu’elles «communiqueront leurs conclusions dès finalisation», avant d’ajouter que «la libération des locaux et le déménagement de son contenu se fera en respect des usages diplomatiques une fois l’opération de vente dûment concrétisée». À préciser que ledit édifice, de par la rupture des relations diplomatique, fait désormais partie du domaine privé de l’État algérien et que les règles propres aux chancelleries ne s’y appliquent pas.

La résidence de l’ambassadeur du Maroc à Alger… expropriée

Le plus étonnant, c’est que les autorités algériennes étaient les premières à engager des procédures d’expropriation des biens marocains à Alger. Sans que le Maroc n’y trouve à redire. C’était d’ailleurs présenté comme une mesure de réciprocité s’agissant de la décision marocaine. Dans un écrit, là encore très officiel, émanant du consulat général à Casablanca, les autorités algériennes avaient informé en 2022 qu’elles «ont décidé d’engager une procédure d’expropriation de certaines propriétés de la zone près du Palais du peuple, pour cause d’utilité publique, et par conséquent de reprendre possession de la résidence de l’ambassadeur de la mission marocaine». Il ne faut surtout pas s’étonner qu’un pays qui a entamé une procédure d’expropriation de dépendances de l’ambassade du Maroc à Alger crie au scandale quand il feint d’apprendre qu’un de ses locaux vides fait l’objet d’une opération similaire. Au «pays du monde à l’envers», selon l’expression des auteurs du «Mal algérien», rien n’étonne plus.

La provocation, le Maroc ne connaît pas

Même si les relations diplomatiques ont été rompues par décision unilatérale de l’Algérie le 24 août 2021, le Maroc assume ses responsabilités et se conforme à ses devoirs découlant des règles et des us et coutumes diplomatiques. De ce fait, les propriétés de l’État algérien qui n’accueillent plus de locaux diplomatiques ou consulaires et ne jouissent plus des privilèges et immunités prévues par le droit international demeurent respectées et protégées par la loi marocaine, dans les conditions générales applicables au droit de la propriété au Maroc.

Le Maroc n’a jamais été dans une logique d’escalade ou de provocation. Il a toujours œuvré pour préserver une relation de bon voisinage entre les deux pays et de fraternité entre les deux peuples. Il ne fera pas dans la surenchère et laissera à l’Algérie le soin de régler ses problèmes internes et ses déboires diplomatiques. Quant à la procédure d’expropriation concernant le bâtiment qui a fait l’objet de plusieurs échanges entre les autorités marocaines et algériennes, elle est pour le moment au point mort.

Par Tarik Qattab
Le 18/03/2024 à 23h06