Algérie: des émeutes en général, et du syndrome de la "main du Maroc" en particulier

Abdelaziz Bouteflika, président de la République algérienne.

Abdelaziz Bouteflika, président de la République algérienne. . DR

Réagissant aux émeutes qui se déchaînent en Algérie en ce début 2017, le premier ministre Abdelmalek Sellal en a imputé la responsabilité à des "parties anonymes" sans toutefois les nommer. Une formule toute prête, servie en toutes circonstances par un régime qui continue de fuir en avant!

Le 06/01/2017 à 14h28

Honni soit qui mal y pense: il y a, selon le chef de l'Exécutif algérien, des "parties anonymes" qui voudraient déstabiliser le pays. Les émeutes qui plongent le voisin de l'Est dans le chaos depuis lundi 2 janvier auraient pour origine, à en croire la "jugeotte" d'Abdelmalek Sellal, cette "main étrangère" et non la flambée des prix des produits de consommation et des services induite, entre autres mesures, par la hausse de la TVA prévue par la loi de Finances 2017.

Une formule toute prête, sortie par l'establishment algérien en toutes circonstances et qui, du coup, n'apporte aucune nouveauté, en dehors de la légendaire fuite en avant, élevée au rang de "politique d'Etat" par un pouvoir grabataire et en rupture de ban. Il n'est donc pas étonnant que ce pouvoir renoue avec la théorie du "complot extérieur", de la "main étrangère", des "parties anonymes", etc., pour se dérober à ses responsabilités.

La loi de finances 2017 a-t-elle été signée par une "main étrangère" ou par celle du président Abdelaziz Bouteflika? A moins que ce dernier ne soit qu'une "effigie", une "momie" comme les frères algériens aiment à l'appeler, il est absurde de penser qu'une "main invisible" ait décidé de ce coup de rabot sur la "nourriture" des Algériens, qui ont déjà fort à faire avec la montée mercuriale du taux de chômage (14%), en particulier chez des jeunes, abandonnés à leur sort (1000 jeunes tentent l'aventure du "hrig" vers l'Europe par an!). 

Les loufoqueries servies par le régime pour "justifier" les maux qui rongent la "première puissance régionale" sont légion. Passons outre cette flambée de violence endémique qui s'est déclenchée en ce début 2017 sur fond de contestations sociales, et méditons sur un autre exemple, non moins édifiant, sur l'insoutenable légèreté du régime voisin.

Pas plus tard qu'en octobre 2016, plusieurs milliers d'élèves occupaient les rues algériennes pour protester contre l'écourtement de la période de vacances scolaires de 15 à 10 jours. Face à "l'Intifada des culottes courtes", le chef de cabinet de la présidence algérienne, Ahmed Ouyahya, a tenté une explication. Intervenant sur les plateaux de la première chaîne de télévision publique, il a eu cet éclair: cette "Intifada" a été diligentée par une "main étrangère"!

Idem pour le sit-in des policiers algériens le 15 octobre 2014 devant le siège de la présidence, El Mouradia, à Alger, pour protester contre la détérioration de leurs conditions de travail. Là encore, les apparatchiks algériens ont sorti de leur chapeau la théorie de "la main étrangère".

La levée de boucliers chez les habitants d'In Salah, dans le sud algérien, en début 2015, contre l'exploitation du gaz de schiste, a également été attribuée à des "parties étrangères".

Il en va de même pour les événements de Ghardaïa ayant éclaté la même année entre minorité mozabite et majorité arabe. Ceux-là sont expressément imputés au Maroc par certains dirigeants algériens, dont Ahmed Ouyahya, champion attitré du "complotisme".

Voyez, on pourrait allonger les exemples de ce complotisme devenu "un système de gouvernance" en Algérie. Files d'attente interminables devant les crèmeries en raison de la pénurie de lait, ras-le-bol de la hausse du prix des patates -devenu étrangement un indicateur de l'état de santé de l'économie algérienne-, flambée du prix des poissons, du gazoil et de l'essence dans un pays regorgeant toutefois d'énergies fossiles, itou, itou. Faut-il aussi attribuer ces hausses à la "main étrangère"?

Le recours à cette théorie fumeuse appelle au moins quelques remarques. A supposer que tous les maux de l'Algérie aient pour origine cette "main extérieure", que fait donc "l'Etat" algérien pour y faire face? La "première puissance régionale" qui prétend être "exportatrice de paix et de stabilité" dans son voisinage, voire dans le monde entier, n'a-t-elle rien à se reprocher? Et cette lutte dévastatrice que se livrent le clan de Saïd Bouteflika, véritable meneur de jeu, et celui de l'ancien "Rab dzaïr", l'ex-patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le général "Tewfik", dans tout cela? Le "président-fantôme" qui voudrait rempiler pour un 5e mandat à l'horizon 2019 est-il irréprochable? Où sont passés les 800 millairds de dollars engrangés durant le règne de Bouteflika (depuis 1991)? Quelle alternative propose-t-il à la rente pétrolière (98% des exportations et 60% des recettes de l'Etat)?

L'heure est grave en Algérie. Mais ce qui l'est encore plus, c'est que le régime en place ne veut rien entendre à cette réalité. En se tenant à mille lieues des préoccupations des frères algériens, il est en train non seulement de creuser sa propre tombe mais aussi, qu'à Dieu ne plaise, de préparer la faillite de tout le pays. Et ce n'est certainement pas la théorie de la "complotite" qui va l'aider à sauver les meubles.

Par Ziad Alami
Le 06/01/2017 à 14h28