Polisario: la corruption comme droit de passage au poste frontalier algéro-mauritanien

Des membres armés du Polisario.

Des membres armés du Polisario. . DR

Pas moins de 17 camions chargés de quelque 80 tonnes de marchandises (surtout des produits alimentaires) en provenance de Tindouf sont immobilisés depuis plusieurs jours dans le nord de la Mauritanie par la douane locale. Pour s’en sortir, leurs propriétaires proposent un deal surprenant.

Le 03/11/2018 à 15h12

Il suffit de faire un simple recoupement à partir d’une lettre envoyée depuis la Suède par un membre du Polisario pour comprendre pourquoi les droits de douanes établis par la Mauritanie dans son poste frontalier avec l’Algérie génèrent tellement de tensions dans la direction des séparatistes. Grâce à cette lettre qui dit s’exprimer au nom des commerçants de Tindouf, on comprend à qui appartiennent les marchandises écoulées des camps de Rabbouni vers le nord de la Mauritanie, et pour qui travaillent les chauffeurs de ces véhicules se présentant comme des «commerçants sahraouis de Tindouf».

Dans cette lettre, reprise par le site mauritanien zoueratemédia le 1er novembre, et adressée au président mauritanien, ce membre du Polisario demande à Mohamed Ould Abdelaziz d’exonérer ces commerçants des droits de douane puisque, justifie-t-il, le Polisario n’a «jamais demandé à la Mauritanie un seul sou sur les importants droits de douane qu’elle engrange pour son trésor à partir du poste d’El Guerguerat (passage frontalier maroco-mauritanien) et qu’en contrepartie donc, les camions des camps de Tindouf ne doivent rien payer au poste frontalier algéro-mauritanien» (sic).

Le caractère menaçant de cette lettre instruit sur l’impasse dans laquelle se trouve le Polisario, privé d’un commerce juteux. Les commerçants du Polisario prétendent qu’ils s’approvisionnent à Tindouf en Algérie. Il est très peu probable que Tindouf, qui est une très ancienne bourgade du désert peu peuplée, sans industries, ni économie agro-pastorale, puisse constituer un centre commercial avec des produits à petits prix. Il est donc clair, au vu du nombre de camions faisant la navette entre Tindouf et le nord de la Mauritanie (une vingtaine de poids lourds par semaine, d’un tonnage variant entre 7 et 11 tonnes, selon les estimations des sites mauritaniens), et compte tenu de la nature des cargaisons composées essentiellement de farines, de pâtes, de sucre, etc., qu’il ne peut s’agir que des produits de l’aide internationale destinée aux réfugiés des camps de Tindouf.

Une aide que le Polisario écoule par le biais de son armée de commerçants et sa noria de camions. D’ailleurs, le Polisario est régulièrement pointé du doigt par des instances internationales pour le détournement qu'il fait de l’aide alimentaire. Il ne viendrait à personne de douter de la véracité de l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) qui a épinglé, dans un rapport accablant rendu public en 2015, le vol de l'aide humanitaire étrangère destinée à Tindouf, dont du lait pour les nourrissons. 

Dans l’impasse, le Polisario tente plusieurs manœuvres pour dénouer une situation qu’il qualifie de «crise». Il inonde de messages l’administration et les médias régionaux du nord mauritanien pour proposer des solutions à la «crise» avec les autorités mauritaniennes.

Revendiquant le nombre d’un millier de membres, ses commerçants, qui précisent qu’ils procurent quelque 3000 emplois aux habitants des camps de Tindouf, accusent aujourd’hui l’Algérie (où ils résident) et la Mauritanie (avec laquelle ils commercent) d’être à l’origine de tous leurs maux. Ils leur reprochent surtout d’avoir ourdi un plan de coopération commerciale sur leur dos à travers l’ouverture du poste-frontalier entre les deux pays, immédiatement emprunté par des dizaines de camions algériens, alors qu’aucun camion appartenant aux commerçants de Tindouf n’a pu traverser ce poste-frontière pour cause de taxes douanières jugées «stratosphériques».

Justifiant leur refus de paiement de ces taxes douanières, les commerçants reprochent à la Mauritanie de ne pas avoir informé au préalable le Polisario des nouvelles mesures commerciales instaurées en commun accord avec l’Algérie. Mais dans ce cas de figure, n’est-ce pas normalement aux autorités algériennes que revient la mission d’informer leurs protégés, qu’ils savent exporter depuis des décennies les produits de l’aide internationale vers la Mauritanie?

Surtout que les autorités mauritaniennes ont bien notifié à tous les usagers de ce passage nouvellement ouvert qu’elle reportait jusqu’au 8 octobre tous les droits de douane exigés au passage frontalier et qui devaient normalement entrer en vigueur plusieurs semaines plus tôt, soit depuis le 1er septembre 2018.

Le Polisario fait l’apologie du bakchich

A l’appui de leurs assertions, les commerçants du Polisario rappellent l’âge d’or de leur trafic, quand les autorités algériennes et mauritaniennes se montraient «compréhensives» et fermaient les yeux sur ce commerce illégal en contrepartie, disent-ils, de «pratiques corruptives devenues une loi coutumière acceptée par toutes les parties».

Une «pratique corruptive» que les commerçants de Tindouf, sans la moindre gêne, préconisent aujourd’hui de rétablir de part et d’autre des frontières algéro-mauritaniennes et qui tiendrait lieu de droit de douane. C’est du moins, pensent-ils, l’une des meilleures solutions à la «crise» qui les frappe actuellement, consécutivement à la mise en fonction du passage frontalier mauritano-algérien.

Au cas où les Mauritaniens refusent cette solution, jugée «idéale», les commerçants menacent d’activer une deuxième solution, utopique celle-là, et qui consisterait à installer des infrastructures de base avec déploiement des forces du Polisario en vue de protéger ce qu’ils appellent leur future zone franche située en pleine zone tampon. Cet espace servirait, selon eux, à stocker les marchandises en provenance de Tindouf, et à les vendre sur place à leurs clients mauritaniens qui se présenteraient d’eux-mêmes pour s’approvisionner et s’occuper des droits de douane avec leur pays. Or, l’espace qu’ils projettent de créer se situe dans une zone interdite d’accès au Polisario par le Conseil de sécurité de l’ONU, car localisée entre le mur de défense marocain et la frontière mauritanienne à hauteur de Zouerate.

Mais derrière ce charivari, c’est bien l’étranglement et la rage des cadres du Polisario qui apparaissent au grand jour. Alors que le poste frontalier entre l’Algérie et la Mauritanie a été célébré au début comme une mesure qui allait contrer l’influence du Maroc en Afrique subsaharienne, voilà qu’il révèle au grand jour un commerce très discret du Polisario avec le nord de la Mauritanie. La hargne que mettent les éléments du Polisario à rétablir ce commerce sans droits de douane, allant jusqu’à menacer Nouakchott, révèle ce que l’on savait déjà: la direction du Polisario a tout intérêt à éterniser le conflit du Sahara tant qu’elle en tire de très substantiels profits.

Par Mohammed Ould Boah
Le 03/11/2018 à 15h12