Avec peu de moyens, Bagdad tente d'élucider les atrocités de Daech contre les Yazidis

Une employée d'un laboratoire irakien inspecte un échantillon d'ADN, à Bagdad, le 19 juin 2019.

Une employée d'un laboratoire irakien inspecte un échantillon d'ADN, à Bagdad, le 19 juin 2019. . DR

Six gouttes de sang sur un papier cartonné et un flacon d'os broyés: c'est avec ces maigres éléments que la médecine légale irakienne s'attelle à faire la lumière sur les atrocités du groupe Etat islamique (EI), notamment contre les Yazidis.

Le 14/07/2019 à 08h10

"C'est comme un puzzle" géant qui irait des charniers d'Irak jusqu'aux exilés yazidis en Europe, explique à l'AFP le légiste Mohammed Ihsan, blouse et masque sur le visage, en reconstituant un squelette d'os jaunis sous les spots fluorescents d'un laboratoire de Bagdad.

Des éléments ont été collectés dans les charniers de l'EI et des prélèvements ADN effectués chez les survivants pour identifier les morts et tenter d'en savoir plus sur ceux qui pourraient avoir survécu.

Cinq ans après la percée jihadiste en Syrie et en Irak, plus de 3.000 Yazidis, minorité la plus persécutée par l'EI, sont toujours portés disparus. Des centaines ont été tués, des femmes transformées en esclaves sexuelles et des jeunes en enfants-soldats avant d'être libérés au compte-gouttes.

Pour l'ONU, ce pourrait être un génocide, le crime le plus grave dans le droit international. Ses enquêteurs travaillent avec l'Irak à offrir un dénouement légal et émotionnel à la petite communauté traumatisée.

Mais les preuves sont en piètre état et l'identification ADN rendue difficile par les mariages endogames, la règle dans le yazidisme.

Depuis mars, des os, cheveux et effets personnels extraits de 12 charniers du bastion yazidi de Sinjar (nord) ont été confiés à la médecine légale de Bagdad. Là, des spécialistes déterminent le sexe et la taille des victimes, "les causes de la mort, fractures et blessures", explique le docteur Ihsan.

L'ADN des victimes est ensuite prélevé, particulièrement dans les fémurs et les dents --quand il y en a--, avant d'être comparé à des prélèvements sanguins de survivants.

Mais trouver des traces d'ADN sur des restes exposés aux pluies, incendies et autres combats durant des années relève de la prouesse, raconte Mayce Nabil, spécialiste de la génétique. "Parfois, les restes sont très dégradés et nous ne pouvons faire que quelques tentatives pour prélever de l'ADN avant qu'ils ne soient plus exploitables", poursuit-elle.

Quand, malgré tout, l'ADN est isolé, commence l'identification, un travail de fourmi dans une communauté forte avant 2014 de 550.000 membres et aujourd'hui réduite à peau de chagrin.

Environ 100.000 Yazidis ont quitté l'Irak et près de quatre fois plus sont toujours déplacés. Pour certaines victimes, personne n'est plus là pour témoigner car "des familles entières ont été décimées", indique Amer Hammoud, adjoint au directeur du laboratoire.

Dans ses registres, 1.280 noms de disparus, et 1.050 prélèvements sanguins. A propos des prélèvements, il dit toutefois en attendre encore 2.600 autres via les autorités kurdes irakiennes. Car, selon lui, la clé est à l'étranger. "Il y a 2.200 familles yazidies en Allemagne, 800 en Australie, 800 au Canada et 150 en France", détaille ce responsable.

Pour la médecine légale d'Irak, pays déchiré depuis 1980 par plusieurs conflits, le supplice des Yazidis n'est qu'un épisode de plus. Partout dans ses locaux, des cartons s'entassent.

A côté de ceux siglés "Sinjar", il y a "Anfal", du nom du massacre des Kurdes par les troupes de Saddam Hussein en 1988, "Bassora", province en première ligne de la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, ou "Karrada", un quartier de Bagdad où un attentat fit en 2016 plus de 300 morts. "Nous avons des années d'expérience dans l'identification des victimes mais pour avoir la plus petite marge d'erreur possible, il faut du temps", plaide le docteur Hammoud.

L'Irak travaille avec l'ONU pour rassembler preuves et témoignages qui pourront servir devant des tribunaux nationaux. Peut-être dans plusieurs années. Mais Bachar Hamad, lui, n'en peut plus d'attendre. Ce déplacé yazidi de 51 ans est sans nouvelle de son frère et de cinq de ses proches depuis 2014. "Tout ce qu'on pourra découvrir sera mieux que rien", dit à l'AFP celui qui a donné son sang l'an dernier dans l'espoir d'aider à déterminer le sort de ses proches disparus. Pour lui, il y a peu de chance que ces hommes là soient encore en vie. "L'EI est fini" et dans les camps qui hébergent en Syrie les familles sorties de son dernier bastion, "il n'y a que des femmes et des enfants (yazidis), pas d'hommes".

"Nous ne serons jamais tranquilles avec tous ces mauvais souvenirs en tête", se lamente-t-il. "Mais ce serait quand même bien de savoir".

Le 14/07/2019 à 08h10