Maroc Telecom, Mamounia, Tahhadart, etc. L’Etat doit-il liquider ses bijoux de famille?

Siège de Maroc Telecom à Rabat

Siège de Maroc Telecom à Rabat . DR

L’annonce, vendredi dernier, d’une cession imminente de 8% de Maroc Telecom en Bourse soulève à nouveau la question de l’opportunité des privatisations au Maroc. Le point avec Yasser Tamsamani, économiste, chercheur affilié à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Le 03/06/2019 à 12h33

L’économiste Yasser Tamsamani estime que l’opportunité de cette opération de privatisation peut être jugée à l’aune de deux critères.

Le premier relève d’un calcul purement financier, qui consiste à comparer les recettes attendues de cette cession (près de 9,7 milliards de dirhams si on se réfère au cours du titre IAM en Bourse, le vendredi 31 mai dernier) à celles que la part de 8% dans Maroc Telecom serait en mesure de rapporter aux caisses de l’Etat sous forme de dividendes (près de 500 millions de dirhams par an).

En suivant ce raisonnement, poursuit l’économiste, en cédant 8% du capital de Maroc Telecom, l’Etat va sacrifier un revenu annuel d’environ 500 millions de dirhams de dividendes, en contrepartie d’une recette immédiate de plus de 9 milliards et quelques.

Vaut-il alors le coup de vendre aujourd’hui 8% du capital de Maroc Telecom? «Tout dépend de l’évolution projetée de la rentabilité de l’entreprise et des recettes potentielles en termes de dividendes et du taux d’escompte qui a servi à l’actualisation des flux de dividendes futurs», répond Yasser Tamsamani.

Le second critère soulevé par l’économiste relève des choix économiques et éthiques à l'origine de cette opération de privatisation. En d’autres termes, pourquoi va-t-on céder 8% de Maroc Telecom? Si la raison en est purement idéologique, consistant à affirmer que le secteur privé serait tous azimuts plus performant que le secteur public, cela n’a aucun fondement économique, soutient Tamsamani. Car, dit-il, les performances du public sont de nature diffuses dans l’espace et dans le temps. A titre d’exemple, le soutien public à la recherche ne donne ses fruits qu’après un temps de maturité nécessaire pour une accumulation suffisante des savoirs et qui profitent à l’ensemble des acteurs, y compris les acteurs privés. Moralité: les performances de la gestion publique (recherche ou autres) sont difficilement mesurables.

Le gouvernement pourrait également être tenté de privatiser pour réduire l’endettement ou pour réduire le déficit budgétaire. «Ce serait une erreur monumentale de privatiser pour boucher des trous dans le budget. La décision de privatisation est irréversible: demain on n'aura plus rien à privatiser et on aura toujours des trous à boucher», explique Yasser Tamsamani.

Ce dernier appelle à en finir avec la rigidité dans la gestion du déficit qui relève d’une approche purement comptable et financière. Un bon gestionnaire des affaires publiques, insiste l’économiste, est celui qui place son action sur un cycle économique ou encore mieux sur une trajectoire de croissance de long terme (celle qui accélère le changement vers le développement), et non pas sur une année budgétaire. Autrement dit, le déficit peut être toléré en période de basse conjoncture ou de régime de croissance atone, comme c’est le cas depuis 2010.

«Par ailleurs, la cession de 8% du capital peut avoir du sens d’un point de vue économique et éthique si, dans l’esprit des décideurs, le stock des actifs de l’Etat sera à terme au moins inchangé. Ce qui consiste à injecter les recettes de la privatisation dans un fond public d’investissement en charge de combler la baisse du capital public par un autre. C’est seulement ainsi que le principe de l’équité intergénérationnelle sera respecté», précise Tamsamani.

Il convient de rappeler que les prévisions du gouvernement au titre de la Loi de finances 2019 prévoient 10 milliards de dirhams de recettes de privatisations, dont 5 milliards de dirhams iront au financement du déficit. Le reste sera affecté au Fonds Hassan II pour le développement économique et social. Outre les 8% de Maroc Telecom, il est également prévu de céder les participations de l’Etat dans l’hôtel Mamounia (65% du capital sont actuellement détenus par l’ONCF) et dans la Centrale électrique de Tahaddart (42% du capital entre les mains de l’ONEE).

Pour Yasser Tamsamani, la question des privatisations doit être traitée au cas par cas. Tout dépend du degré de concentration et de la présence ou non d’une instance de régulation sur le marché. S’agissant du cas spécifique de Maroc Telecom, l’économiste estime que le problème ne se pose pas.

«Certes le marché des télécoms est de nature oligopolistique, mais le fait qu’il y ait une agence de régulation exclut théoriquement le risque de subir une situation d’abus de position dominante sur le marché», ajoute-t-il. Encore faut-il que cette instance de régulation, en l’occurrence l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT), puisse jouer pleinement son rôle de gendarme au lieu de fermer les yeux sur les pratiques dominatrices et anticoncurrentielles exercées par Maroc Telecom et par son indéboulonnable président, Abdeslam Ahizoune, notamment en matière de dégroupage et d’accès à l’infrastructure pour les services ADSL.

Par Wadie El Mouden
Le 03/06/2019 à 12h33