Le coup de gueule de Tahar Ben Jelloun

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ChroniqueTahar Ben Jelloun inaugure une série de chroniques "Coup de gueule" sur Le360, où il abordera divers sujets d'actualité qui l'interpellent et, plus que cela, le révoltent. Premier coup de gueule: Les crimes de la route au Maroc.

Le 28/05/2014 à 21h49

Deux critères sont essentiels pour savoir si un pays est civilisé : la condition de la femme et la sécurité routière. Le Maroc a fait quelque progrès en ce qui concerne les droits de la femme. En revanche, il ne cesse de régresser vu le nombre de crimes quotidiens que des gens commettent sur les routes. Au Maroc, on tue avec la voiture et on tue beaucoup. Ces crimes restent impunis ou si peu sanctionnés. Il n’existe pas de famille dans notre pays qui n’a pas perdu un proche dans des crimes de la route. Logiquement, tout le monde est concerné et tout le monde devrait se mobiliser pour mettre fin à ce scandale qui se banalise à cause de sa fréquence.

J’ai le regret de constater que nous ne sommes pas civilisés. Nous n’avons pas de civisme dans notre comportement quotidien. Celui qui conduit une voiture comme s’il était dans un cirque ou une foire foraine est un criminel. J’ai vu des milliers de fois des inconscients doubler dans des virages, ne pas respecter la priorité, dépasser les limites de vitesse avec arrogance et cruauté, brûler tranquillement un feu rouge ou doubler à droite quitte à saccager le trottoir et tuer des piétons. J’ai vu des salauds faire des bras d’honneur au malheureux qui leur fait remarquer leur sauvagerie.

Je sais que c’est un problème complexe dont la solution réclame plus que du civisme, plus de répression, plus de sévérité. Il faut de l’éducation et sévir à l’origine : nous savons tous que des gens ont obtenu leur permis sans avoir passé d’examen, il leur a suffi de déposer une enveloppe. Je sais que la corruption est tellement courante dans ce domaine. Je sais aussi qu’en agissant de la sorte, on participe aux crimes futurs. Arrêtons de faire de la morale. Passons aux actes. Tout citoyen responsable d’un accident grave doit être sanctionné avec la plus grande sévérité. Je sais que des efforts ont été consentis notamment sur les autoroutes : radars, gendarmes vigilants. Mais c’est loin d’être suffisant. Au Maroc un citoyen qui émet un chèque sans provision est passible de prison immédiatement. Ça fonctionne bien. Pourtant un chauffard qui tue risque tout au plus de passer quelques jours en prison. Le non respect de l’argent est plus grave que le non respect de la vie humaine. Quel paradoxe !

Dans les années 70, la France perdait plus de 13.000 personnes sur ses routes chaque année. Aujourd’hui ce chiffre a été ramené à 3200. Pour atteindre ce résultat une politique sans concession a été menée : répression, vigilance, absence de passe droit et autre corruption. Le nombre des tués sur les routes ne cesse de baisser. Au Maroc, nous sommes proportionnellement à l’état où était la France il y a 40 ans. La mobilisation doit être générale. Tous les partis, les mouvements, les associations, doivent déclarer la guerre à la corruption et au désastre routier. Dans un Etat américain, si un conducteur est arrêté en état d’ébriété, on lui confisque son véhicule et s’il est à l’origine d’un accident grave, on ne le lui rend pas. Il est vendu au profit d’associations de lutte contre l’alcool au volant. Le Maroc devrait s’en inspirer.

Il faut qu’on cesse l’hypocrisie : des Marocains se saoulent et conduisent ivres. Il faut instaurer les tests d’alcoolémie et empêcher les personnes ayant bu de conduire. Tout cela devrait se faire sans que l’idéologie ou d’autres considérations politiques interviennent. Je sais que l’ancien ministre Ghallab avait essayé de mettre en place une nouvelle politique de sécurité routière. Je sais que des grèves des gens de transport ont eu lieu. Il est temps de penser à inculquer du civisme aux citoyens en les associant à la lutte commune contre les crimes sur les routes. Il faut par ailleurs sécuriser les autoroutes. Installer des grillages solides et des caméras sur les passerelles d’où des criminels lancent de grosses pierres pour arrêter les voitures et permettre à des complices de tout voler. La nuit est devenue le moment propice au crime. Des gendarmes devraient faire la chasse à ces criminels d’un genre nouveau. Pas de pitié, pas d’hésitation. Il faut appliquer la loi et sévir avec force.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 28/05/2014 à 21h49