Avant même de fermer la parenthèse «ville sans bidonville», les décideurs à la ville de Casablanca se sont lancés dans la course à la «ville intelligente» (Smartcity). Une course dans laquelle une ville comme Paris occupe la 8e place, commente le quotidien Assabah dans l’édito de son édition du week-end des 20 et 21 avril. On parle d’une course dans laquelle, note l’éditorialiste, la capitale française arrive bien loin derrière Londres, New York, Tokyo, San Francisco et même derrière Boston, Los Angeles, Singapour et la ville canadienne de Toronto.
En quelques mots, les concepteurs des «Smartcities» les définissent comme des villes où on peut tout faire, et tout avoir, grâce à un clic ou en appuyant sur un bouton. A Casablanca, les seuls boutons sur lesquels on peut appuyer, tout étant sûr d’avoir une réponse à l’autre bout, ce sont ceux des sonnettes des portes.
Malgré cela, le maire de ma métropole insiste pour entrer dans cette course, mais en s’y prenant de la mauvaise façon. Ainsi, au lieu de se soucier de qui va ramasser les ordures dans la ville, ce lundi prochain, le voilà qu’il organise une fête «cinq étoiles» pour célébrer la quatrième édition d’une exposition sur la ville intelligente, «Smartcity Expo», s’indigne l’éditorialiste d’Assabah.
Et si, à la base, l’intelligence des villes réside dans l’ingéniosité et la capacité d’innovation de leurs décideurs, à Casablanca, nos élus ont fait montre d’un genre unique d’innovation politique. Ils ont tout simplement remis les clés de la gestion des services publics à des entreprises venues justement des pays des «Smartcities», relève l’éditorialiste. Il ne s’agit pas seulement, note-t-il, des chantiers d’infrastructures, mais également du ramassage d’ordures, de la distribution d’eau et d’électricité et de la gestion de l’assainissement liquide.
Il existe plusieurs conceptions de la ville intelligente et il est difficile d’en trouver, et d’en défendre, une qui s’applique à Casablanca. La ville ne dispose pas d’une économie assez intelligente pour encourager l’innovation et le leadership dans la production. Elle ne dispose pas non plus d’un système intelligent de gestion de la circulation et de la communication, ni d’une carte écologique qui la prémunirait de la pollution et permettrait une gestion efficace de ses ressources économiques. De même, on y fait fi de l’investissement dans l’élément humain, dans la transparence des services, sans parler du manque d’intérêt pour la culture et la médiocrité des services de santé.
Même si l’on se contentait du seul volet informatique, là encore, ce ne sont pas les cybercafés qui nous permettront de faire partie de la liste ne serait-ce que des «villes en voie d’intelligence». Les villes évoluées, où les services s’appuient sur une infrastructure développée des technologies de l’information et de la communication, celles où la circulation est gérée de manière automatique, celles où presque tout est automatisé, Casablanca est bien loin d’en faire partie.
Une ville est intelligente lorsqu’elle investit dans le capital humain et social et dans l’infrastructure énergétique. Une ville est intelligente lorsqu’elle s’appuie sur le développement économique durable et sur la qualité de vie des citoyens. Une ville est intelligente lorsqu’elle arrive à gérer d’une manière efficiente ses ressources naturelles.
Or, à Casablanca, la situation est telle que le «guichet unique» est encore très loin de concrétiser les orientations royales, selon lesquelles une demande d’autorisation ne devrait pas prendre plus d’un mois pour être instruite et satisfaite. En réalité, ces demandes, quand elles ne sont pas gelées, dépendent toujours dans leur étude des humeurs des membres des innombrables commissions mixtes, ce qui n’est pas pour arranger les affaires des investisseurs.
Pire encore, se désole l’éditorialiste, à l’heure où, dans les villes intelligentes, on parle déjà de la mise en place de réseaux de télédétection avec une multitude de récepteurs et détecteurs de paramètres transformés en données, statistiques et graphes et mis à la disposition des citoyens et décideurs, à Casablanca, l’armée de fonctionnaires qu’emploie le Conseil de la ville peinent encore à manipuler un ordinateur. Quant à ses élus, ils se bousculent pour placer leurs proches et leurs protégés à des postes à responsabilités, quand ils ne savourent pas des pseudo victoires dans des batailles marginales.
Que diront les «sages» des villes intelligentes, invités à Casablanca pour cette manifestation, quand, en venant de l’aéroport, ils passent par un pont suspendus dont les travaux s’éternisent depuis des années, ou qu’à l’entrée principale de la ville, ils passent à côté d’un dépotoir à ciel ouvert? Ils s’exclameront certainement «stupidcity» !