Visite d'Erdogan au Maroc, retour sur un désastre

Recep Teyyip Erdogan

Recep Teyyip Erdogan . DR

La visite du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, au Maroc n’a pas donné les résultats escomptés. En cause, un manque de rigueur de la part du PJD, chef de file du gouvernement, dans la préparation de cet événement de taille.

Le 06/06/2013 à 21h03, mis à jour le 06/06/2013 à 22h57

"Si politiquement les relations sont excellentes, le volet économique n’a pas été très bien défendu comme il faut car les Turcs sont repartis heureux avec dans leurs valises des propositions de contrats juteux. Le problème de notre déficit commercial n’a pas été résolu à cette occasion», confie à Le360 un membre du gouvernement sous couvert de l’anonymat. Notons que le Maroc a enregistré en 2012 un déficit commercial d’un milliard de dollars au profit de la Turquie. "Normalement, cette question aurait due figurer en tête des préoccupations du gouvernement. Il fallait amener les Turcs à regagner leur pays avec un accord de libre-échange mieux négocié et à l’avantage du royaume", ajoute la même source. Le boycott de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) de cette visite pour manque de préparation n’a pas arrangé les choses. "La CGEM et sa présidente Meryem Bensalah Chaqroun sont très déçues des résultats de cette visite", affirme-t-on au sein de la Confédération.

Un bilan maigre

Le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, a prêché dans la parole sans convaincre les Turcs que le royaume a besoin dans les faits de "plus d’investissements industriels turcs ainsi que d’un commerce bilatéral équitable selon la formule gagnant/gagnant", avancent des hommes politiques aussi bien dans la majorité que dans l’opposition. Maigre bilan lorsqu’on constate que seuls deux accords de coopération bilatérale ont été signés, dont l’un sur le transport maritime et terrestre.

Laissés sur leur faim, les journalistes n’ont pas par exemple réussi à obtenir le moindre détail sur la nature des deux conventions. "Ecoutez, je n’ai rien de plus à donner sur l’accord en matière de transport, il faut attendre l’élaboration des mécanismes qui en dépendent pour en savoir davantage", a affirmé Aziz Rebbah, ministre de l’Equipement et du transport interrogé par la presse. Le tourisme n’a pas non plus figuré en bonne place dans les discussions. Et pourtant ! "Les Turcs ont développé leur tourisme, ils reçoivent des milliers de touristes marocains par an. Le gouvernement de Benkirane n’a associé ni les professionnels marocains ni le ministre du Tourisme qui était l’un des grands absents de la réunion de haute commission de coopération mixte", regrette un responsable du Mouvement populaire (MP), dont fait partie le ministre de Tourisme Lahcen Haddad.

"La non-participation de la CGEM est revenue dans les débats du conseil du gouvernement" lors de sa réunion hebdomadaire de ce jeudi, a déclaré le ministre de la Communication, Mustapha El Khalfi. "L’absence de la CGEM est justifiée. Ce groupement reste un partenaire fondamental pour le gouvernement", a-t-il assuré, en reconnaissant "l’erreur du gouvernement de ne pas avoir associé le patronat", principal moteur de l’économie nationale. "Le gouvernement n’a pas confié à Amal Entreprises la charge de négocier avec les opérateurs turcs, ces derniers ont leur propre groupement de professionnels", a-t-il tenté d’atténuer. Mais El Khalfi n’a pas précisé si le référentiel religieux les unit beaucoup plus que les affaires.

Abdelilah Benkirane a été un peu clair, quand il s’est adressé aux "hommes d’Amal Entreprises" dans ce palace de Rabat : "Soyez agressifs dans votre commerce avec la Turquie". C’est une confirmation que Amal Entreprises et le groupement turc réalisent le business entre eux. Quant au refus supposé du Premier ministre turc de recevoir le doctorat honoris causa au Maroc, le porte-parole du gouvernement a déclaré qu’il n’était pas au courant que Erdogan ait refusé cette distinction honorifique. En tout cas, il n’a pas été décoré. Alors donc pourquoi, le haut responsable turc l’a acceptée et reçue en Algérie ? La réponse est toute simple : sa visite chez les Algériens a été mieux préparée et mieux organisée, selon les observateurs.

Peut mieux faire !

Un membre du gouvernement, un allié de poids au sein de la coalition, a estimé que les résultats de cette visite "ont été satisfaisants, mais nous aurions pu faire mieux", a-t-il regretté, ajoutant qu’il "y avait un concours de circonstances qui n’a pas arrangé les choses". Il a notamment cité la visite du Roi à l’étranger et les manifestations auxquelles fait face Tayyip Erdogan en Turquie.

"En dépêchant précipitamment un avion bondé de 300 opérateurs économiques, le Premier ministre turc a pris au dépourvu son homologue marocain ainsi que l’ensemble du gouvernement, qui a en définitif accepté le fait accompli", a conclu ce ministre sous couvert de l’anonymat. "L’improvisation" du côté marocain a tristement prévalu alors que le Maroc n’a pas pour habitude de rater ce genre d’occasions", souligne-t-on à Rabat. Sur le plan diplomatique, on notera cette fameuse annonce du ministère des Affaires étrangères, Saâd Eddine El Othmani, à la veille de la visite d'Erdogan dans l'agence de presse officielle turque, et selon laquelle le roi Mohammed VI allait accorder une audience au chef de gouvernement turc. Une erreur fatale qui en dit long sur l'amateurisme qui a prévalu dans la gestion de cette visite.

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 06/06/2013 à 21h03, mis à jour le 06/06/2013 à 22h57