L’image est presque pathétique: Ahmed Attaf, bouclier humain d’un régime d’Alger en perte de repères, tente de vendre à l’opinion de son pays une idée, encore une, pour le moins invraisemblable. À l’heure où la communauté internationale s’aligne sur le plan d’autonomie marocain, voilà que le pouvoir voisin entreprend de se grimer en faiseur de paix, en proposant une médiation entre le Maroc et le Polisario, niant son propre rôle dans un conflit qu’il a entretenu et financé pendant cinquante ans. Une volte-face désespérée, dictée non pas par la morale mais par la déroute.
À Alger, ce mardi, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a en effet proposé que son pays joue un rôle de médiation entre le Maroc et le Front Polisario à propos du Sahara. C’était en pleine conférence de presse et face caméra. Une initiative surprenante, voire choquante, de la part d’un acteur qui se présente depuis près d’un demi-siècle comme soutien inconditionnel du Polisario et principal adversaire du Maroc sur ce dossier. Ce coup de théâtre diplomatique intervient après l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU de la résolution 2797, une résolution qui marque une avancée historique du plan marocain d’autonomie et un sérieux revers pour la stratégie algérienne.
Loin de refléter un souci de désescalade ou une réelle volonté de paix, la proposition algérienne de «médiation» s’apparente à une manœuvre visant à maquiller un échec diplomatique patent, tout en préparant en douceur l’opinion publique algérienne à la participation de leur pays aux prochaines négociations, sur la base du plan d’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine. Une «participation» exigée explicitement par le Conseil de sécurité et que l’Algérie tente de recouvrir du manteau de la neutralité. Mais l’Histoire et les textes onusiens parlent d’eux-mêmes: l’Algérie est partie prenante du conflit. Ahmed Attaf, pourtant chef de la diplomatie d’un pays membre du Conseil de sécurité, semble feindre d’ignorer la lettre et l’esprit de cette résolution. Mieux, il l’a réécrite.
Le déni pathologique d’Ahmed Attaf
Devant la presse, Ahmed Attaf a longuement discouru sur la résolution 2797, affirmant éhontément que le Conseil de sécurité «n’a retenu ni les thèses marocaines, ni reconnu la souveraineté prétendue du Maroc sur le Sahara occidental». Il a insisté sur le fait que «le Conseil ne s’est prononcé ni sur la base des négociations, ni sur leur résultat», et que «la solution finale doit garantir l’autodétermination du peuple sahraoui».
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Fait notable, si la sortie du chef présumé de la diplomatie voisine fait les grands titres de tous les médias algériens, qui reprennent in extenso ses propos à coups de très larges extraits et de citations en voix off, aucune intervention filmée de Attaf sur le sujet n’avait été diffusée, ni sur la télévision ni sur Internet, à l’heure où nous mettions en ligne. Un signe, s’il en fallait, du caractère non assumé de la posture, adoptée au mieux en guide de ballon d’essai, au pire en tant qu’ultime acte de désespoir. Il aura fallu attendre la fin de journée pour que l’agence officielle du régime, APS, nous gratifie d’une version censurée où la «proposition» de médiation a été censurée et pour que le département d’Ahmed Attaf ne diffuse une vidéo arrangée de son intervention sur sa chaîne Youtube (voir vidéo à partir de la minute 25:00).
Et pour cause, ces affirmations sont non seulement trompeuses, mais elles contredisent frontalement le texte même de la résolution que le ministre prétend interpréter.
Le texte adopté par 11 voix pour (aucune contre, seuls trois pays s’étant abstenus et l’Algérie a fait le choix de la chaise vide en refusant de participer au vote) affirme clairement: «Le Conseil appuie pleinement les efforts (…) pour faciliter et conduire les négociations en se fondant sur le plan d’autonomie proposé par le Maroc pour parvenir à un règlement juste, durable et mutuellement acceptable […]». Le paragraphe 3, que Attaf cite abondamment, précise qu’ «une véritable autonomie sous souveraineté marocaine pourrait être une solution des plus réalistes».
Comment dès lors comprendre qu’Ahmed Attaf ait publiquement nié la présence du mot «souveraineté» dans la résolution, pour ensuite affirmer avoir proposé sa suppression? Ou encore qu’il ait évoqué à plusieurs reprises que la résolution 2797 exhorte les «deux parties au conflit», une terminologie qui n’existe nulle part dans la résolution, niant que celle-ci mentionne par contre «toutes les parties», citant nommément le Maroc, le Front Polisario, l’Algérie et la Mauritanie? Comment le chef de la diplomatie algérienne peut-il mentir aussi éhontément en affirmant que le Conseil de sécurité somme «les deux parties au conflit, le Royaume du Maroc et le front Polisario» d’engager des négociations, alors que l’Algérie est citée autant de fois que le Polisario dans le texte de la résolution? Le Polisario est cité une seule fois dans la résolution 2797. Et l’Algérie aussi. Le Royaume du Maroc est nommé à cinq reprises. Ce qui établit une prééminence totale du point de vue et de la solution proposée par le Maroc.
Contrairement aux mensonges de M. Attaf, la résolution 2797 ne parle jamais de deux parties.
Il ne s’agit plus ici de diplomatie, mais de réécriture pure et simple des faits, d’une distorsion volontariste dans le but de préserver une façade politique sérieusement ébranlée.
La fuite en avant
Déjà le 2 novembre, au lendemain de l’adoption de la résolution grâce à un large soutien international, Ahmed Attaf s’était exprimé sur AL24 News, vitrine officielle de la communication du président Tebboune. Son intervention avait été marquée par une attitude peu assurée et des contre-vérités répétées. Plongé dans le déni, le chef de la diplomatie algérienne avait alors prétendu que le texte onusien ne contenait aucune référence au plan d’autonomie marocain comme base de solution, allant jusqu’à accuser le Maroc d’avoir tenté de «démanteler la Minurso», alors même que ce sont les bailleurs de la mission, exaspérés par l’impasse, qui menacent de requalifier sa mission.
Ce double discours, déformant tant les faits que les résolutions des Nations Unies, n’est pas anodin. Il s’agit d’une tentative de légitimer, auprès d’une opinion publique longtemps nourrie de propagande, la nouvelle posture diplomatique imposée par les circonstances. Après avoir refusé de voter la résolution, comme l’an dernier, l’Algérie cherche à prendre pied dans un processus négocié qu’elle ne pourra désormais plus bloquer.
Depuis des décennies, la diplomatie algérienne prétend n’être qu’«observateur inquiet» ou «pays voisin» dans le différend créé autour du Sahara. Pourtant, elle en est aujourd’hui désignée comme partie par l’ONU elle-même, et de manière explicite dans le texte de la résolution 2797. Que signifie donc cette proposition de «médiation» de la part de celui qui nie encore officiellement toute responsabilité? Une tentative de reconversion politique imposée par le rapport de forces international, où l’Algérie est aujourd’hui isolée.
L’épisode récent de la crise diplomatique avec l’Espagne, déclenchée par le soutien de Madrid au plan d’autonomie marocain, ou encore celui avec Paris, où Alger a tenté en vain de se poser en puissance intransigeante, n’ont fait que mettre en lumière l’isolement stratégique d’un régime en proie à ses propres contradictions. L’affaire Boualem Sansal l’a cruellement révélé: le pouvoir algérien s’est plié en quelques heures à une demande pressante de Berlin, libérant un écrivain emprisonné pour avoir simplement rappelé qu’une bonne partie de l’Est marocain a été rattachée par la colonisation française à l’Algérie. Cette décision précipitée a montré la fragilité d’un pouvoir qui, sous les accents virils, agit avant tout par trouille.
Un régime au bord du précipice
Autre preuve que la posture algérienne n’est au final que du bluff, son proxy, le Polisario agitait pas plus loin qu’hier, lundi, un mémorandum adressé à l’ONU, descendant en flammes la résolution 2797, décrivant un processus «d’immobilisme bureaucratique» et reprochant à l’ONU de «gérer le conflit plutôt que de le résoudre». Ironie du sort ou mauvais calcul pour le régime d’Alger: alors qu’il tente d’arrondir les angles et camoufler l’échec de sa diplomatie, son propre protégé rejette la résolution sans ménagement. Le pouvoir algérien se retrouve aujourd’hui contraint de composer avec la souveraineté du Royaume du Maroc sur le Sahara occidental qu’il a combattue pendant un demi-siècle, tout en voyant son rejeton sombrer.
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Pendant ce temps, les soutiens internationaux au plan d’autonomie ne cessent de se multiplier: États-Unis, France, Espagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, et récemment une Russie concentrée sur ses propres priorités géopolitiques et lassée par un régime sans honneur. Face à ce raz-de-marée, des voix s’élèvent même en Algérie pour demander des comptes sur les centaines de milliards de dollars partis en fumée au profit d’un conflit lointain, au lieu de servir une population appauvrie, confrontée aux pénuries, au chômage endémique et à l’exil risqué vers l’Europe. Le président Tebboune lui-même a reconnu en juillet dernier qu’«une fortune» avait été dilapidée «en faveur du Polisario».
L’initiative d’Ahmed Attaf, sous couvert de neutralité régionale, est donc moins un signal de paix qu’une tentative désespérée pour faire passer la pilule d’une participation contrainte aux tables rondes auprès de son opinion. Confronté à un isolement international croissant, à des revers répétés dans ses relations avec des partenaires clés comme l’Espagne et la France ou à des pressions de l’Allemagne via l’affaire Sansal, le régime algérien cherche à redéfinir son rôle sans perdre la face. Le problème est que son récit ne convainc plus, ni à l’étranger ni chez lui.
Désormais forcé d’assumer un statut de partie au conflit et de participer à un processus de négociation fondé sur le plan d’autonomie marocain, le régime d’Alger n’a plus que l’artifice du discours pour tenter de masquer une défaite qu’il sait irrémédiable. Sa tentative, tardive et maladroite, de se poser en médiateur, est probablement l’une des dernières manœuvres avant une reddition politique imposée par les faits.












