«En cinq mois de tractations, Abdelillah Benkirane n’a jamais demandé audience au roi Mohammed VI!» Ainsi s’exprime une source interrogée par le360 sur les raisons qui ont conduit à décharger le SG du PJD de la mission de former un gouvernement.
Notre source ajoute que non seulement Benkirane n’a jamais sollicité une rencontre avec le chef de l’Etat, mais il ne lui a même pas envoyé une seule note écrite pour le tenir au courant du progrès des tractations. «Benkirane diffusait les informations dans les journaux dont il est proche et il attendait peut-être que Sa Majesté s’informe de l’état des négociations (pour former le gouvernement) en lisant ces journaux», ironise notre interlocuteur. Pourtant des conseillers du souverain avaient rencontré Benkirane. «Oui, mais c’est pour l’exhorter à accélérer le processus de formation du gouvernement!», tranche notre source.
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La première erreur de Benkirane est une erreur de calcul, non pas arithmétique (science dont se réclame l’intéressé), mais de calcul politique. Exalté par le score réalisé par son parti aux législatives (125 sur les 395 sièges que compte la première chambre du Parlement), dans une campagne dure où le PAM a été très agressif, Benkirane a considéré que sortir premier parti politique au Maroc l’habilitait à former un gouvernement en additionnant les sièges manquants. Il a d’emblée décidé que sa coalition gouvernementale compterait l’Istiqlal (46 sièges) et le PPS (12 sièges). Confiant en un total de 183 sièges, il ne lui manquait que 15 sièges pour une majorité gouvernementale et pensait que les prétendants, alléchés par des portefeuilles ministériels, allaient se bousculer devant sa maison à Rabat.
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Cette logique comptable s’est montrée contreproductive, dans la mesure où elle a durablement semé la méfiance chez les partis politiques qui composaient avec Benkirane l’ancien gouvernement. Le SG du parti de la Lampe a méprisé la majorité sortante, alors que la logique voudrait qu’il frappe d’abord à la porte des anciens partenaires. Il a mis près de deux mois avant d’envisager un Exécutif avec la majorité sortante. Mais la méfiance était désormais de mise.
Le rôle néfaste des "chevaliers" des réseaux sociauxLes fuites, organisées dans les journaux proches du parti de la Lampe, vont concourir à davantage envenimer les choses entre Benkirane et les chefs des autres formations. A peine s’est-il entretenu avec Aziz Akhannouch, par exemple, que la teneur de leur échange est étalée noir sur blanc dans les périodiques proches de l’ancien chef du gouvernement désigné. Les milices (Katai'ib) électroniques du PJD que Benkirane surnommait les «sgou3a» (imbéciles) vont s’appuyer sur chaque fuite orchestrée dans les journaux pour cibler dans des attaques très violentes tour à tour Salaheddine Mezouar, Aziz Akhannouch, Driss Lachgar ou toute autre personne qui montre un désaccord avec Benkirane. Sur les réseaux sociaux, ces milices ont traîné dans la boue les adversaires de Benkirane. Ce dernier aura beau les renier publiquement, les dégâts laissés par les «Forsane» (chevaliers) du parti islamiste vont laisser des séquelles durables. De telle sorte que la confiance ne s’est jamais rétablie entre Benkirane et ses interlocuteurs.
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Le PJD, c’est moiL’autre travers de Abdelillah Benkirane est lié au culte de la personnalité. Benkirane pensait que le PJD et lui ne faisaient qu’un. Le parti est l’appendice de la personne. Ce parti ne pouvait exister sans la voix de son SG. D’ailleurs, dans ses dernières sorties, l’ancien chef du gouvernement parlait davantage de Benkirane que du PJD. Un exemple: pour montrer son refus catégorique à intégrer l’USFP au gouvernement, il lance: «Si Lachgar entre au gouvernement, c’est que je ne m’appelle pas Benkirane». Outre l’aspect populiste de cette sortie, elle renseigne sur la taille de l’ego de son auteur qui s’est atrophié au fil des ans, au point que la boutade et la petite phrase sont devenues plus importantes que la raison d’Etat.
Le glissement de Benkirane dans une espèce de culte du moi, conforté par sa popularité réelle au sein de son parti l’a porté à personnaliser les différends avec les chefs des autres formations. Il en oubliera presque de compter les jours et sera imperméable à l’urgence. Cinq mois, cinq longs mois, et toujours pas de gouvernement. Benkirane ne dira jamais qu’il est responsable de cet échec. Sa personne est hors de cause et c’est toujours la faute des autres. En étant démis de ses fonctions au profit d’une autre personnalité de son parti, Abdelillah Benkirane fera peut-être amèrement la distinction entre sa personne et le parti où il occupe le poste de secrétaire général.
Dans le communiqué du Cabinet royal qui annonce la fin de sa mission, un paragraphe est consacré aux qualités de Benkirane qui «a assumé la présidence du gouvernement, en toute efficacité, compétence et abnégation». Vraisemblablement, Benkirane a oublié, cette fois-ci, d’être efficace dans les tractations pour former un nouveau gouvernement.