Parti de l’Istiqlal: des ambitions brimées

Adnan Debbarh.

ChroniqueLe parti de l’Istiqlal a finalement pu tenir son congrès. Le retard devenait inquiétant. C’est un soulagement d’abord pour ses militants et sympathisants, mais aussi pour nombre de Marocains qui, sans partager les idéaux de ce parti, lui prêtent un rôle important dans la stabilité politique du pays. Sans plus, s’empresseront de soutenir ses détracteurs. Analyse.

Le 30/04/2024 à 12h28

Le Parti de l’Istiqlal, on peut l’affirmer sans risque de se tromper, fait partie des éléments inoxydables de la vie politique marocaine. Beaucoup ont cru, surtout après que Chabat en ait pris les rênes, qu’il allait suivre le sort d’autres partis qui, passés les moments de gloire, ont connu la dégringolade. Ce ne fut pas son cas. Aux dernières élections, le parti a occupé une très honorable troisième place, faisant taire ceux qui ne pariaient pas gros sur lui.

Les raisons de cette longévité sont connues. Le Parti de l’Istiqlal a toujours su maintenir des relations intactes avec la frange conservatrice de la société marocaine. Une frange qui n’est pas venue au conservatisme récemment pour des considérations religieuses. Elle est conservatrice par tradition. Elle apprécie l’ordre social existant et trouve qu’il n’y a pas lieu de le changer. Elle apprécie également la stabilité économique et politique, abhorre les changements radicaux. Elle est patriotique, voire nationaliste, et voue un attachement profond à la religion, la famille et l’État. Au sein de la société, elle se retrouve dans les classes moyennes et la bourgeoisie traditionnelle.

Le Parti de l’Istiqlal, conscient des desiderata de sa base électorale, a toujours veillé à la caresser dans le sens du poil, gardant en ligne de mire ses intérêts politiques et économiques et la sacro-sainte stabilité sociale. Quand il s’allie avec la gauche dans la Koutla, c’est pour modérer ses ardeurs sociales, et quand il s’allie avec la droite, il n’oublie pas de défendre la bourgeoisie nationale. Cette mission d’équilibriste ne le dérange pas outre mesure, tant que les intérêts des franges qu’il représente ne sont pas touchés.

Le choix de cette zone de confort et la décision persistante à s’y maintenir comportent un prix: courir le risque de s’exclure de jouer le premier rôle dans la conduite d’un futur exécutif à l’horizon 2026. À écouter le discours d’ouverture du 18ème congrès du parti, prononcé par Nizar Baraka, on sort avec le sentiment que l’Istiqlal ne veut surtout pas faire de vagues. Il reprend à son compte les grandes options du gouvernement, sans y ajouter grand-chose. Il est content d’être là où il est. Réalisme d’une direction consciente des faiblesses d’un appareil qu’elle peine à maîtriser, car traversé d’une multitude d’ambitions difficiles à assouvir ? Crainte d’afficher trop d’ambitions politiques et courir le risque de provoquer le courroux d’un chef de la majorité de plus en plus irascible à cause d’une conjoncture atone? Pour l’observateur, il est difficile de retrouver dans ce congrès les conditions pour l’exercice d’un leadership plus large dans la société. Pas de projet nouveau ni fédérateur, aucune réflexion sur les limites de la gouvernance que connaît l’actuel exécutif.

Le Parti de l’Istiqlal dispose-t-il des moyens pour exercer un leadership plus large, et quelles sont les conditions pour que la société soit plus réceptive? En termes d’encadrement, il est assez bien fourni. L’association des économistes istiqlaliens est riche en cadres et plusieurs dirigeants de ce parti se retrouvent dans différents organismes publics et privés. Pour le projet, les choses sont un peu plus compliquées. Pour ratisser plus large électoralement et se positionner en première position, le parti doit introduire un surcroît de modernisme dans ses programmes, surtout dans le domaine des relations familiales, et mieux expliciter la notion d’égalitarisme économique qui demeure floue dans ses déclinaisons concrètes.

Dans plusieurs pays, des partis conservateurs ont pu porter le changement et la modernité économique sans trop brusquer les fondements de la société. La société marocaine tient à nombre de ses traditions, tout en demeurant en quête de prospérité économique. Le parti qui saura lui fournir un projet assurant le juste équilibre entre ces deux composantes a de fortes chances de remporter la mise. Le Parti authenticité et modernité a tenté de le faire, mais n’y a pas réussi. Peut-être parce qu’il y avait un empressement lors de sa constitution, dû à la montée en puissance du conservatisme importé incarné par le Parti de la justice et du développement. Le Parti de l’Istiqlal pourrait reprendre à son compte ce projet, à condition de se départir d’une certaine timidité politique qui caractérise son action depuis quelque temps et de s’ouvrir à d’autres franges de la société.

Par Adnan Debbarh
Le 30/04/2024 à 12h28