Nouvelle génération de PDTI: la fin des projets en silos, le début des territoires partenaires

أشغال الاجتماع التشاوري الخاص ببرنامج التنمية الترابية المندمجة لعمالة الدارالبيضاء

Lors de la rencontre de concertation pour l’élaboration du Programme de développement territorial intégré, le 17 novembre 2025 à la wilaya de Casablanca-Settat. (A.Gadrouz/Le360)

TribuneDans cette tribune, Abdessamad Alahyane, président de la Tariq Ibnou Ziyad Initiative (TIZI) et consultant en stratégie, décrypte la rupture qu’apportent les nouveaux Programmes de développement territorial intégré (PDTI) dans la manière de penser l’action publique.

Le 25/11/2025 à 18h05

En 2025, deux discours royaux ont fixé un cap clair: il n’y a plus de place pour un Maroc à deux vitesses, ni sur le plan social ni sur le plan territorial. En appelant à «passer des canevas classiques du développement social à une approche de développement territorial intégré», le discours du Trône a replacé le territoire (province, préfecture) au cœur de l’action publique.

Quelques semaines plus tard, Sa Majesté le roi a précisé dans le discours d’ouverture de la session parlementaire les attentes: des programmes plus rapides, plus impactants, pensés dans une logique gagnant-gagnant entre villes et campagnes, avec une attention particulière aux zones montagneuses, aux oasis, au littoral et aux centres ruraux émergents.

Les Programmes de développement territorial intégré (PDTI) sont la traduction concrète de cette orientation. Ils ne sont pas une mode technocratique de plus. Ils sont la tentative la plus structurée, à ce jour, pour faire du territoire un véritable contrat de justice sociale.

Avant les PDTI, des politiques publiques fragmentées

Pendant longtemps, nos territoires ont davantage accueilli des «programmes de ministère» que de véritables projets de territoire. Chaque département a élaboré sa feuille de route, ses enveloppes, ses indicateurs, souvent sans articulation fine avec les autres acteurs ni avec une vision d’ensemble de la province.

La gouvernance locale, elle aussi, est restée éclatée. Les comités se sont multipliés, mais rarement dotés des moyens pour arbitrer, prioriser, faire converger les financements. Les niveaux provincial et préfectoral ont trop souvent joué le rôle de chambre d’enregistrement, plus que celui de tour de contrôle stratégique. La régionalisation avancée suivait son cours mais ses instruments de mise en œuvre tardaient à suivre.

Sur le terrain, cela s’est traduit par des projets ponctuels, parfois spectaculaires, mais peu articulés avec le quotidien des citoyens: une route sans transport régulier ni services de base, un équipement socio-culturel sans gestion pérenne, une zone industrielle sans stratégie d’attractivité. Nous avons parfois inauguré plus de bâtiments que construit des trajectoires de développement.

Résultat: les inégalités territoriales ont reculé moins vite qu’espéré. Vue du terrain, l’égalité des chances n’a pas la même couleur à Casablanca, dans un douar de montagne ou dans un centre rural émergent accroché à la route nationale. Les écarts se lisent dans le temps d’accès au centre de santé, dans la qualité de l’école, dans l’opportunité d’un premier emploi pour un jeune.

À cela s’est ajoutée une faible culture du résultat et de la redevabilité territoriale. On a souvent jugé les politiques publiques aux montants engagés, rarement aux transformations réelles pour les habitants. Pour un citoyen, il était difficile de savoir qui est responsable de quoi. Dans ce flou, la défiance et le sentiment d’abandon ont prospéré.

Ce que change la nouvelle génération de PDTI

La nouvelle génération de PDTI vient précisément répondre à ces limites. D’abord par une vision politique claire: la justice territoriale devient la boussole. Le territoire n’est plus un simple réceptacle de programmes, il devient l’unité de référence pour concevoir, négocier et suivre le développement. Le développement local est appelé à devenir le miroir du progrès national.

Ensuite, par une gouvernance multi-niveaux structurée et participative avec un système de comités de pilotage au niveau préfectoral/provincial, régional et central, associant walis et gouverneurs, élus, services déconcentrés, établissements publics, universités, acteurs économiques et, potentiellement, société civile.

La question posée est simple, mais décisive: qui s’assoit autour de la même table pour décider de l’avenir du territoire? Pour la première fois, ce schéma est décrit, stabilisé, assumé.

Troisième rupture: une méthodologie en six phases qui oblige à partir du terrain. Lancement, mise en place des dispositifs, diagnostic, analyse et interprétation territoriale, hiérarchisation, formalisation et validation: chaque étape est cadrée, avec des livrables et des instances de validation. Le diagnostic mobilise les données du HCP, du RGPH 2024, des services sectoriels, mais aussi les doléances des citoyens, les requêtes des collectivités, les résultats des projets passés.

Le PDTI n’est pas une «liste de courses» additionnant les demandes. C’est un processus qui part d’un diagnostic partagé pour aboutir à quelques priorités assumées, discutées, justifiées.

Quatrième rupture: la structuration autour de quatre axes prioritaires clairement identifiés: promotion de l’emploi; renforcement des services sociaux de base (éducation et santé); gestion proactive et durable de l’eau; mise à niveau territoriale intégrée.

Ces axes couvrent à la fois les conditions de vie immédiates et les perspectives d’avenir. Ils permettent de traiter, de manière différenciée, les défis des zones montagneuses enclavées, des oasis en tension hydrique, des centres ruraux émergents ou du rural profond encore privé d’équipements de base.

Enfin, les PDTI s’inscrivent dans une culture axée sur les résultats et l’utilisation des données. Dès leur conception, chaque projet doit être étayé par des indicateurs précis à améliorer, des objectifs clairs, des cibles définies et un dispositif de suivi rigoureux.

À terme, un PDTI réussi se jugera moins au nombre de pages du document qu’aux courbes qui bougent: abandon scolaire, accès à l’eau, temps d’accès aux services, emploi des jeunes.

Conditions de réussite: faire des PDTI de vrais contrats territoriaux

L’outil est solide. Mais sans certaines conditions politiques, institutionnelles et techniques, les PDTI risquent de finir comme un document de plus dans les archives administratives.

Première condition: stabiliser la gouvernance et sécuriser la continuité. Un PDTI doit couvrir un horizon plus long qu’un seul mandat électif. Les comités de pilotage ne peuvent pas être reconfigurés à chaque changement politique. Le PDTI doit devenir la feuille de route partagée du territoire, pas la propriété d’une majorité.

Deuxième condition: investir dans l’ingénierie territoriale. instauration des comités techniques thématiques pour appuyer les responsables au niveau de chaque territoire.

Encore faut-il doter ces équipes de compétences en planification, data, participation, environnement, économie. On ne corrige pas les inégalités territoriales seulement par des budgets, mais aussi par de l’ingénierie au plus près du terrain, notamment dans les montagnes, les oasis ou le rural profond.

Troisième condition: assurer des financements pluriannuels et convergents. Si les budgets de l’État, des régions, des provinces, des communes, des établissements publics et des bailleurs ne s’alignent pas sur les priorités du PDTI, celui-ci deviendra un exercice de style. Mieux vaut moins de projets, mais financés jusqu’au bout et bien articulés, que des chantiers dispersés sans masse critique.

Quatrième condition: faire de la participation citoyenne un moteur, pas un décor. Ateliers territoriaux, implication des jeunes et des femmes, coopératives, associations locales, plateformes numériques de remontée des besoins: tout cela doit être au cœur du processus, pas à la marge. Si les habitants ne se reconnaissent pas dans le PDTI, il restera un texte administratif, pas un projet de société territoriale.

Les PDTI: un banc d’essai réel pour la régionalisation avancée

La rupture apportée par les PDTI est d’abord une rupture de méthode: du projet isolé au cadre intégré, du budget d’abord au diagnostic d’abord, de la logique verticale à la co-construction territoriale. La vraie question, désormais, n’est plus «avons-nous les outils?», mais «saurons-nous les utiliser pleinement?».

Car les PDTI ont vocation à devenir des contrats de confiance entre l’État, les collectivités, le secteur privé et la société civile. Des contrats où les objectifs sont clairs, les moyens alignés, les résultats suivis, les responsabilités partagées. La réduction des inégalités territoriales n’y serait plus un slogan, mais un engagement mesurable.

Réussir les PDTI, c’est donner un contenu très concret à la régionalisation avancée et au Nouveau Modèle de Développement, vu depuis les montagnes, les oasis ou les centres ruraux émergents, et pas seulement depuis les grandes villes.

Pour y parvenir, quelques choix structurants s’imposent:

  • Faire de la participation citoyenne une obligation méthodologique, en généralisant les consultations territoriales structurées et l’usage d’outils numériques de feedback, en particulier pour les jeunes et les femmes.
  • Articuler systématiquement les PDTI avec les grandes stratégies nationales (eau, santé, éducation, emploi, climat) pour garantir la cohérence entre le national et le local.
  • Ancrer les PDTI dans la durée, en sécurisant la continuité des comités de pilotage et des engagements, au-delà des alternances politiques, afin d’en faire de vrais contrats de confiance entre l’État, les territoires et les citoyens.

Au fond, les PDTI nous posent une question simple: sommes-nous prêts, collectivement, à traiter chaque territoire comme un sujet politique à part entière, et non comme un simple périmètre administratif? De la réponse à cette question dépendra notre capacité à faire de la justice territoriale le socle d’un Maroc réconcilié avec tous ses espaces.

Par Abdessamad Alhyane
Le 25/11/2025 à 18h05