"Le Maroc sur la ligne de front". Tel est le titre du livre qu'Alain Jourdan, journaliste-écrivain français, vient de publier aux éditions "Sept". Un livre de référence pour mieux cerner la stratégie sécuritaire du Maroc, et qui a valu aux services marocains d'être cités comme modèle y compris par leurs homologues européens, américains, voire russes. Le livre est articulé autour de trois axes tout aussi importants les uns que les autres: lutte antiterroriste, déradicalisation et combat contre le front séparatiste du Polisario soutenu par Alger.
Trois fronts de combat et une efficacité marocaine qui force, sinon l'admiration, du moins le respect. Pour commencer, le front antiterroriste sur lequel, de l'avis des puissants services occidentaux, a fait d'excellentes preuves. "Aujourd'hui, le Royaume fait figure d'exception en matière de lutte contre le terrorisme. Sa connaissance des réseaux islamistes, qu'il s'agisse de Daech ou d'Al-Qaïda, en fait un allié précieux", relève Alain Jourdan, éminent spécialiste de l'investigation journalistique. "Les polices européennes, américaines mais aussi russes louent l'efficacité des services de renseignement marocains", souligne cet "historien de l'instant", qui s'est signalé à l'attention en 1987 par sa couverture pour le journal "Le Progrès" de l'arrestation du terroriste Max Frérot, artificier du groupe d'extrême gauche "Action Directe".
Frappé de plein fouet par les attentats de 2003, puis de 2011, le Maroc a mis en place une stratégie qui va au-delà de l'opérabilité sur le terrain pour englober la prévention (lutte contre les idées extrémistes), le renforcement de l'arsenal juridique (criminalisant jusque l'apologie du terrorisme)... Sur le terrain, "les services marocains ont démantelé des dizaines de cellules terroristes entre 2015 et 2017", fait remarquer Alain Jourdan. Ce succès tient essentiellement à la réunification en 2015 de la DGSN et de la DGST en un seul pôle, aux mains d'un pro de la sécurité: Abdellatif Hammouchi. Depuis, une meilleure coordination est assurée entre le travail de terrain et le travail de renseignement basé sur l'anticipation et la prévention. "Hammouchi fait partie de l'escadron de hauts fonctionaires de la génération "M6". Depuis le 15 mai 2015, il cumule (avec la DGST) la fonction de directeur de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Homme des missions difficiles, c'est lui qui coordonne et pilote la lutte antiterroriste. Un dévoreur de dossiers, compétent, pieux, et discret. disent de lui ceux qui le connaissent de près. Hammouchi, qui parle couramment l'anglais, le français et l'arabe, est jour et nuit sur le "pont"", décrit Alain Jourdan.
Une efficacité qui, au-delà du Maroc, "a permis d'éviter nombre d'attentats en Europe", souligne l'auteur du livre. L'intervention des services marocains en France, au lendemain des attentats de novembre 2015 à Paris, a permis de neutraliser tout le commando de kamikazes dirigé par Abaoud. Une action saluée par l'ex-président socialiste français, François Hollande, qui a publiquement exprimé ses remerciements au roi Mohammed VI pour le "soutien substantiel" du royaume. La Belgique, l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne... et d'autres pays européens sollicitent désormais l'appui du Maroc dans leur lutte contre les cellules jihadistes.
Et ce n'est pas tout. "Rabat ne se contente pas de traquuer les terroristes. Le pays a aussi lancé des programmes ambitieux pour prévenir la radicalisation et renforcer l'enseignement religieux", fait constater Alain Jourdan. "Fort de la légitimité que lui offre son statut unique de commandeur des croyants, le roi Mohammed VI a pris le contre-pied de l'idéologie jihadiste. Il a su trouver dans le Coran les textes qui bannissent du champ de l'Islam ceux qui tuent au nom de la religion", relève l'auteur.
Conflit du Sahara, ou quand le Maroc rabat les cartes d'Alger et du Polisario
Parallèlement à son combat antiterroriste, le Maroc a également réussi à dégoupiller cette "autre charge explosive" que constitue le conflit du Sahara. "Une mèche à combustion lente", décrit Alain Jourdan. "Depuis 2015, les étincelles se rapprochent dangereusement de la charge explosive", indique l'auteur. "Le Maroc a proposé un statut de large autonomie. Mais Alger encourage toujours les sahraouis du Polisario à réclamer l'indépendance pour des raisons essentiellement géostratégiques. La création d'un Etat tampon lui ménagerait une fenêtre sur l'Atlantique", explique-t-il.
Pour ce faire, Alger n'a lésiné sur aucune astuce dans sa tentative insidieuse de porter préjudice à l'intégrité territoriale du royaume. En vain. "Le Maroc tire sur toutes les cordes pour gagner des soutiens à travers le monde alors que la stratégie d'Alger s'essouffle", souligne Alain Jourdan. Le Polisario, lui, "est en crise", diagnostique-t-il. Outre la perte d'influence d'Alger, frappée par une crise financière sans précédent, le front séparatiste doit faire face aux griefs internationaux, notamment ses connexions avec les réseaux criminels essaimant dans la région sahélo-saharienne. "Le Polisario a beau démentir tout lien avec les mouvements djihadistes et les réseaux criminels qui prospèrent dans la région -souvent les mêmes-, une réalité plus contrastée et moins flatteuse pour le mouvement indépendantiste s'impose. Le Sahel et la Côte ouest-africaine sont devenus l'une des routes mondiales de la cocaïne en provenance des Amériques. Le Polisario en tant qu'entité n'y a peut-être pas pris part, mais plusieurs de ses membres et de ses cadres ont laissé de côté leurs engagement idéologique pour mener des activités beaucoup plus lucratives. Un pourrissement par la tête et les pieds qui explique également pourquoi l'organisation ne jouit plus du même crédit qu'autrefois", analyse Alain Jourdan.