Exclusif. Portrait-robot du Marocain qui rallie Daech

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Qui sont les Marocains qui rallient les rangs de Daech en Syrie et en Irak ? Combien sont-ils ? D’où viennent-ils ? Quels âges ont-ils ? Quels métiers exerçaient-ils ? Dans son enquête, Le360 a obtenu des données exclusives.

Le 11/07/2017 à 10h42

A quoi peut bien ressembler le Marocain qui rallie les rangs de Daech ? Le360 a réussi à obtenir assez d’éléments pour en faire le portrait-robot. Et le résultat est plus qu’édifiant. Le jihadiste qui quitte son pays et sa famille, quand il n’emmène pas ses enfants avec lui, exerçait auparavant un métier de subsistance. Il est aussi jeune et prêt à tout pour servir Daech à qui il obéit au doigt, allégeance oblige.

La (jeune) chair à canonSur les 1531 Marocains qui ont rejoint les zones de conflit en Syrie et en Irak (à partir du Maroc), presque le quart ont moins de 25 ans (24%). Ceux âgés entre 25 et 35 ans représentent 50%. Un petit calcul démontre que 74% des daechiens marocains ont moins de 35 ans. Ceux ayant dépassé les 35 ans représentent également près du quart du contingent (26%).Les jihadistes marocains sont eux aussi traversés par les divergences entre les principales mouvances qui sévissent en Irak et en Syrie, même si Daech reste l’organisation la plus attrayante. L’organisation de Abou Bakr Al Baghdadi a ainsi recruté 733 marocains, le reste étant dispersé entre divers mouvements avec une prédilection pour «Harakat Cham Al Islam». Cette dernière organisation était dirigée par Brahim Benchekroun, un ancien de Guantanamo abattu sur le champ de bataille, et à qui a succédé un autre Marocain : Mohamed Mehdi Khallou, alias «Abou Talha».

Le sort des Marocains de Daech n’est pas enviable. Leur vie ne consiste pas à compter le butin et prendre autant d’esclaves sexuelles qu’ils le veulent. Pas moins de 376 ont trouvé la mort en Syrie alors que 61 ont péri en Irak. Autre particularité des combattants marocains et surtout en Irak : ce sont eux qui forment en général les fameuses brigades des «Inghimassyine», des sortes de commandos qui ne reculent devant rien et qui sont envoyés se faire exploser sur les barrages de contrôle ou l’entrée des positions ennemies pour dégager les issues au reste des troupes.

En Syrie, les Marocains ont acquis une triste célébrité de «coupeurs de têtes» comme «Kokito» (Mohamed Hamdouch, natif de Fnideq).

© Copyright : Le360 : Reda El Haimer

Les prolétaires de BaghdadiTout aussi intéressantes sont les professions exercées par les jihadistes marocains avant qu’ils ne deviennent combattants à temps plein, et salariés, de Daech. Tenez-vous bien ! Sur le total de 1531 marocains partis en Syrie et en Irak, 311 étaient de simples ouvriers. Cette catégorie est talonnée par les marchands ambulants (184) qui sont suivis des commerçants (191), des employés (158) et des journaliers (101).

Sur ce total également, on recense 135 jihadistes entre élèves et étudiants, 178 artisans, 43 salariés, 4 agriculteurs, et autant d’imams. Les sans-emploi représentent, eux, 187, alors que l’on retrouve très peu de «profils pointus» à l’image des informaticien (2) ou des enseignants (1). Quant aux MRE partis du Maroc, ils sont au nombre de 14.

Ces profils démontrent que Daech séduit et recrute avant tout dans les classes défavorisées. Cette prédominance des marchands à la sauvette et des artisans n’est pas sans rappeler les professions exercées par les terroristes responsables des attentats du 16 mai 2003. Qui se souvient encore de «Moul Sebbat» (Abdelhak Bentasser) présenté comme l’un des cerveaux de ces attentats et décédé juste après son arrestation ? Les marchands ambulants sont recrutés en grande partie dans les villes du Nord du pays, Fnideq, Tanger et Tétouan.

L’un des plus célèbres parmi eux est Ahmed Chaâra qui était à l’origine serveur dans un bar (d’où Péjo, son surnom) avant de se convertir dans la vente de sous-vêtements masculins sur les trottoirs de Tanger. Parti avec femme et enfants en Syrie, il a été piégé par les services de renseignement marocains et français sur la frontière turque et rapatrié au Maroc. 

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Le tour de vis de Hammouchi

Les jihadistes marocains, à l’instar des combattants d’autres nationalités, ont été attirés par Daech dès le début des hostilités en Syrie. Rien qu’en 2013, ils étaient des centaines à rallier la Syrie via la Turquie. Le record des départs a été enregistré durant le mois de septembre de cette même année : 162 marocains ont quitté le pays pour rejoindre Daech. Ce qui fait une moyenne quotidienne de plus de cinq départs par jour.

Mais, apprend Le360, depuis le début de 2014, la tendance est à la baisse. Au mois d’octobre 2015, les autorités n’ont recensé que 12 départs au total. La recette ? Les autorités sécuritaires ont maintenu la pression, ainsi que la traque des recruteurs et des volontaires au Jihad. Le démantèlement des réseaux de recrutement des candidats au Jihad a été déterminant dans la régression des départs vers la Syrie et l'Irak. Un travail d’anticipation qui a donné ses fruits et qui a été salué à l’échelle mondiale.

A ce sujet, la guerre déclarée par les autorités aux financiers de Daech, en traçant et asséchant les transferts de fonds, a également été très utile. L’un des coups les plus spectaculaires reste, entre autres, l’arrestation du «grossiste» de Daech, le richissime commerçant de Fès qui écoulait des denrées périmées sur le marché pour réserver une partie de sa fortune aux jihadistes.

Les autorités sécuritaires marocaines apportent même un sérieux coup de main à des pays alliés dans la lutte contre le terrorisme pour démanteler plusieurs cellules. La coopération dans ce sens avec l’Espagne reste exemplaire dans la lutte contre les rabatteurs de Daech à Sebta et Mellilia.

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Terroriste un jour, terroriste pour toujoursAutre statistique très parlante des données obtenues par Le360, le taux de récidive chez les combattants marocains de Daech. Sur les 1531 jihadistes, 226 sont d’anciens détenus en vertu de la réglementation antiterroriste du royaume. C’est dire que le repentir n’est pas une notion très prisée chez les terroristes. Evidemment, on citera encore le cas très significatif de Brahim Benchekroun que les autorités marocaines relaxent après son retour de Guantanamo pour qu’il se retrouve de nouveau, au lieu de l’Afghanistan et Al Qaeda, en Syrie à la tête de «Harakat Cham Al Islam» et y laisser la peau.

Là aussi, les faits sont têtus. Les attentats de mars-avril 2007 à Casablanca ont démontré l’implication d’anciens détenus pour terrorisme. Abdelfettah Raydi, qui s’est fait exploser dans le cybercafé de Sidi Moumen, venait de quitter la prison après avoir purgé une peine de 3 ans pour terrorisme. Un autre membre de sa cellule a fait pire. Condamné à 30 ans, il a été gracié pour raisons humanitaires (atteint d’une leucémie) en 2005. Mais il n’a pas trouvé mieux que de replonger. 

Par Youssef Jajili et Mohammed Boudarham
Le 11/07/2017 à 10h42