Immédiatement après la proclamation des pays hôtes de la Coupe du Monde de football en 2026, Carlos Cordeiro, président de la Fédération américaine (US Soccer), a donné une déclaration filmée pour remercier avec ardeur un seul pays: l’Arabie saoudite. Il a nommé dans ses remerciements le roi Salmane, le prince héritier Mohammed ben Salmane et son «ami», le très zélé serviteur de la candidature américaine, Turki Al Cheikh, le patron du football saoudien.
Si Carlos Cordeiro a réservé des remerciements enthousiastes à l’Arabie Saoudite, c’est que ce pays a plaidé la cause de United 2026 avec une ferveur et un dévouement qui ont dépassé l’engagement des candidats victorieux.
Carlos Cordeiro, patron du football US, remerciant, mercredi 13 juin 2018, les autorités et la fédération saoudiennes de leur appui au dossier nord-américain pour l'organisation du Mondial 2026.
Une telle mobilisation est en soi suspecte, mais quand cette mobilisation vise à éliminer un pays souvent qualifié de «frère» et allié de l’Arabie saoudite, cela a un nom: la félonie. Bien sûr, il y a le réalisme politique, surtout que Donald Trump a menacé ouvertement les pays qui ne voteraient pas pour le trio nord-américain. Si l'Arabie saoudite avait donné donne sa seule voix à la candidature tripartite (Etats-Unis, Mexique, Canada), cela aurait été dur à accepter mais aurait pu passer. Ce qui ne passe pas en revanche, c’est le zèle qu’a mis ce pays en chargeant Turki Al Cheikh de tout mettre en œuvre pour priver le Maroc de voix dans les pays arabes et musulmans au bénéfice de la candidature américaine.
Turki Al Cheikh s’est acquitté de cette mission à cor et à cri. Il n’a même pas cherché à faire le job dans la discrétion. Il voulait que le monde entier sache avec quel dévouement l’Arabie saoudite sert les intérêts des Etats-Unis. Il a oublié que l’excès de dévouement devient de la servilité. L’Arabie saoudite ne courbe pas seulement l’échine devant les Etats-Unis de Donald Trump, mais se couche, rampe, s'engage dans une course à l’avilissement, ne craignant plus ni les sarcasmes, ni les humiliations. Quand Donald Trump poste un tweet sur les centaines de milliards de dollars qui sont l’unique raison de son déplacement à Riyad, les autorités de ce pays ne bronchent pas. Quand ce même président brandit, en présence de Mohammed ben Salmane, un carton sur lequel sont reproduits comme dans un article de réclame les équipements qu’il a vendus à l’Arabie saoudite et les montants de ces achats, le prince saoudien est certes gêné, mais encaisse sans réagir cette humiliation inédite.
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La soumission excessive de Turki Al Cheikh est en phase avec les orientations de Riyad qui a perdu le sens de la mesure, de l’Histoire et du temps dans la multiplication des actes de servilité à l’égard des Etats-Unis. Elle a perdu aussi le respect de l’opinion publique arabe, et même au-delà.
Certes, il ne s’agit pas de dire que le Maroc a perdu le Mondial 2026 à cause de l’activisme de l’Arabie saoudite et encore moins de soustraire le président de la candidature marocaine, Moulay Hafid Elalmy, à sa responsabilité dans cette défaite. Lui qui a joué résolument en solo et mené une campagne de communication catastrophique. Mais le vote de l’Arabie saoudite et celui des autres pays «frères», les Emirats arabes unis en tête, dépasse de loin le champ sportif. Rabat sait ou doit savoir qu’à l’exception du Qatar qui n’a pas fléchi devant la menace trumpienne, ses alliés du Golfe la poignarderont dans le dos dès qu'il s’agit de faire des démonstrations de dévouement à une grande puissance. Cette donne risque désormais de peser sur les relations entre le Royaume du Maroc et les monarchies du Moyen-Orient.