Chaque voix compte! Tout étudiant en sciences politiques le sait, pour avoir étudié l’Impeachment échoué, d’un seul vote, d’Andrew Johnson, ou le retour manqué du comte de Chambord, scellant à une voix près la fin de la restauration monarchique en France. Plus modestement, au Parlement européen, le mois dernier, le vote pour décider de la levée d’immunité parlementaire d’Ilaria Salis s’était joué à une voix, sauvant cette élue d’ultragauche d’éventuelles poursuites judiciaires en Hongrie.
En novembre, l’hémicycle devait se prononcer sur l’acte délégué de la Commission qui répondait aux injonctions des juges de Luxembourg et à la renégociation agricole Maroc-UE. Le Conseil– c’est-à-dire les États membres– avait donné son feu vert. Le Parlement, lui, pouvait encore s’y opposer par une procédure d’objection, réunissant une majorité de 360 voix.
Deux textes furent alors proposés au vote, l’un déposé par les Patriotes pour l’Europe, voué à l’échec tant le cordon sanitaire, même distendu, continue de peser sur les initiatives de ce groupe; l’autre porté par le PPE, numériquement premier groupe du Parlement, et maître dans l’art du compromis. C’est effectivement ce dernier qui a rassemblé le plus de votes– mais pas suffisamment puisqu’une voix a manqué pour faire tomber l’acte délégué et renverser la proposition de la Commission européenne.
«Quant à la France, qui avait promis à Rabat un soutien sans faille, elle a tenu parole, et de manière spectaculaire, à travers une alliance improbable allant de Jordan Bardella à Nathalie Loiseau! Le Rassemblement national, première délégation des Patriotes pour l’Europe, a voté contre la résolution… de son propre groupe, confirmant une constante: son soutien explicite au Maroc»
— Florence Kuntz
Parce qu’un appel nominal a été demandé sur chaque vote, et que le détail est public, il est tentant d’aller rechercher parmi tous les membres du PE, lequel a paru faire défaut et quel autre a sauvé les règles de l’étiquetage. D’autant qu’une lecture attentive du procès-verbal ne manque pas d’enseignements sur un vote qui a défié les équilibres politiques du Parlement, mais respecté les grandes lignes nationales quant aux relations bilatérales des États membres avec le Maroc. Ainsi, d’abord l’Espagne, puisque les deux objections venaient d’élus espagnols– la première signée par Vox et portée par les Patriotes pour l’Europe, la seconde cosignée par les représentants du Partido Popular: la droite ibérique a voté contre les règles de l’étiquetage, exportant à Strasbourg la bataille politique menée à Madrid contre le gouvernement Sánchez.
Au contraire, le PSOE, minoritaire au sein du groupe socialiste (S&D), a contribué à faire échouer l’objection du PPE– en cohérence avec les engagements du Premier ministre et du ministre Planas qui affronte sans ciller la fronde des syndicats agricoles. À gauche, la surprise vient de Podemos, qui n’a pas fait le plein des voix puisque l’une de ses élus manquait à l’appel. Si les absents ont souvent tort, nul doute que cette session parlementaire pèsera dans son bilan de mandature.
Fidélité à la ligne nationale aussi, pour les élus des pays européens ayant témoigné leur soutien à la marocanité du Sahara. Une droite portugaise qui vote contre la résolution du PPE; les élus belges également– y compris l’ancien Premier ministre socialiste Elio Di Rupo s’écartant de la ligne majoritaire chez S&D, pour s’aligner sur l’évolution récente de la diplomatie belge.
Quant à la France, qui avait promis à Rabat un soutien sans faille, elle a tenu parole, et de manière spectaculaire, à travers une alliance improbable allant de Jordan Bardella à Nathalie Loiseau! Le Rassemblement national, première délégation des Patriotes pour l’Europe, a voté contre la résolution… de son propre groupe, confirmant une constante: son soutien explicite au Maroc. Les Républicains, eux aussi, ont choisi de s’affranchir de la ligne du PPE pour s’opposer à l’objection– en fidélité à leur position historique sur la relation France–Maroc. Les macronistes de Renew ont massivement rejeté les deux résolutions. Comme les quatre élus français d’ECR, pourtant isolés au sein d’un groupe dominé par les élus de Giorgia Meloni. Les Italiens– quelle que soit leur famille politique–ont privilégié la défense de leurs agriculteurs, de leurs consommateurs, voire d’autres priorités régionales, plutôt que l’accord agricole avec le Maroc.
Et puis, il y a le cas The Left: pas un seul des neuf députés français de la gauche radicale n’était présent au vote. Coïncidence? Ou nouveau signe d’un repositionnement discret du parti à l’approche des élections municipales, un glissement amorcé cet été par Rima Hassan, marqué par une distance nouvelle vis-à-vis de l’Algérie et du Polisario? Quoiqu’il en soit, la situation est délicate pour Manon Aubry, co-présidente du groupe, habituellement très mobilisée contre les accords internationaux. Comment expliquer la défection des siens– 9 voix alors qu’une seule aurait suffi? Par le seul refus de mêler leurs votes à ceux de la droite? Ses collègues des autres délégations n’ont pas eu ces pudeurs de gazelle; emportés par leur hostilité systématique au Maroc, Boylan, Flanagan ou même Per Clausen ont voté pour la résolution de Vox!





