Analyse. Parlement: cette insoutenable absence de nos conseillers

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Ils étaient seulement 38 conseillers de la deuxième chambre à voter une loi aussi importante que celle relative aux violences faites aux femmes. Voilà qui met en lumière une vieille habitude: celle de leurs absences. Intolérable. Décryptage.

Le 06/02/2018 à 15h11

Le texte était attendu depuis des années. Il s’agit, et excusez du peu, du projet de loi sanctionnant les violences faites aux femmes. Un dispositif majeur donc dans l’édification de l’Etat de droit et la protection de la moitié de la population du pays. Une moitié dont plus 60% sont victimes d’une ou plusieurs formes d’abus (violence physique, verbale, psychologique, économique…). Le texte a été approuvé en première chambre, mais aussi en Chambre des conseillers. Et c’est là le plus étonnant. Sur les 120 membres la composant, ils étaient uniquement 38 à s’être dérangés, le mardi 30 janvier dernier, pour voter le projet de loi: 25 voix favorables contre 13 contre.

D’aucuns se seraient attendus à des débats houleux, à une participation massive aux débats et au vote, vu l’importance de ce texte, mais rien de cela ne s’est produit. Faut-il s’en étonner? Pas vraiment. Véritable programme d’action de toute l’année, la sacro-sainte Loi de finances 2018 a été votée par 69 membres de cette chambre (47 pour et 22 contre), soit un peu plus de la moitié de nos conseillers, en sachant que ce texte engage non seulement le budget de l’Etat, mais tous les projets d’infrastructures et de développement du pays. Le reste de nos conseillers? Aux abonnés absents.

Récurrents, les absences et le manque d’engagement de nos conseillers frôlent parfois le ridicule. Début août dernier, et quelques jours seulement après le Discours du Trône dans lequel le roi Mohammed VI a interpellé sévèrement la classe politique, les parlementaires ont brillé par leur absence aux séances des deux chambres. A la Chambre des conseillers, le Chef du gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani, s’est retrouvé face à une salle quasiment vide lors de la présentation du bilan de la politique consacrée aux Marocains résidents à l’étranger (MRE). La séance a été tout simplement ajournée.

Président de la Chambre des conseillers, Hakim Benchemass confirme sans détour les faits. «Il est clair qu’une telle attitude entrave la bonne marche de la chambre et pénalise la production législative dans notre pays», regrette-t-il auprès de le360. «Pour que les choses changent, il faut un éveil des consciences. Autrement, aucune mesure ne sera de l’efficacité requise», affirme ce conseiller qui, sous le couvert de l’anonymat, relate l’histoire d’un de ses confrères qui vient souvent à la chambre, mais uniquement pour marquer sa présence et repartir aussitôt.

En plus des absences, les séances de travail, en commissions comme en plénières, sont marquées par le peu d’engagement des conseillers. La preuve: parmi les 90 amendements proposés pour ce texte, déposé il y a un peu plus d’un an et demi, seuls 12 ont été retenus. «Mêmes les débats, les propositions et autres amendements sont faibles», constate Abdelfettah Fatihi, analyste politique. Pour lui, cela pose un autre problème, celui de la qualité même des lois qui sont adoptées. «Il n’y a qu’à voir le nombre de lois qui font l’objet de changements et autres ajouts ou suppressions pour se rendre compte que tout le travail de précision et de suivi qui devait être apporté n’a pas été effectué», ajoute le politologue.

Pourquoi le phénomène prend-il plus d’ampleur chez les conseillers? «Tout bonnement parce qu’ils ont plus d’engagements personnels», affirme l’analyse. Ses membres étant élus indirectement par les élus des chambres professionnelles, des salariés de la CGEM et des collectivités locales, pour un mandat de six ans, la Chambre des conseillers est souvent… vide. « L’autre grand souci est l’inexistence d’une administration au sein des groupes parlementaires. Une administration avec une stratégie de gestion du processus législatif, avec une vision politique et, surtout des archives», précise notre source. En attendant, ce sont des individus qui se voient confier cette tâche. Et loin d’être institutionnelle, leur démarche reste… personnelle. «Même quand on s’oppose à un texte, on obéit uniquement à une approche idéologique. Très peu de conseillers sont capables de justifier leur refus ou opposition à un texte donné», ajoute-t-elle. C’est dire que de là à arriver à une production législative digne de ce nom, régulière et de qualité, il y a encore bien du chemin à faire.

Par Tarik Qattab
Le 06/02/2018 à 15h11