Tôt mardi matin, comme si ces annonces n'avaient pas eu lieu, de nouveaux barrages ont été érigés sur plusieurs artères du centre de Beyrouth et les appels à de nouveaux rassemblements dans les principales villes agitaient les réseaux sociaux.
Les banques restaient fermées, prolongeant la paralysie partielle du pays, et une petite armée de bénévoles nettoyait le coeur de Beyrouth pour faire place nette avant le retour attendu des manifestants dans la journée.
"Ces manifestations sont la chance du peuple. Nous serions fous de laisser une chance au gouvernement. Comment lui en donner encore une alors qu'ils ont eu trente ans pour agir?", demandait un vieil homme interrogé par une télévision locale dans la ville à majorité chiite de Tyr, dans le sud.
Comme à la fin de la guerre civile en 1990, les infrastructures du pays sont en déliquescence et les Libanais font face à des coupures quotidiennes d'eau et d'électricité.
La foule a accueilli lundi avec un scepticisme mêlé de colère les annonces du Premier ministre Saad Hariri qui se voulaient pourtant spectaculaires : mesures contre la corruption, promesse de ne plus imposer de nouveaux impôts, programme de privatisations pour lutter contre la gabegie des services publics, aides en faveur des plus défavorisés...
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Mais, dès le discours de Hariri terminé, les slogans-phares de la contestation ont retenti de plus belle, notamment celui réclamant le départ immédiat de l'ensemble de la classe politique: "Tous, cela veut dire tous!".
"Le pouvoir s'obstine", titrait mardi le journal Al-Ahkbar en publiant à la Une la photo d'une manifestante masquée d'un drapeau libanais, faisant le V de la victoire. "Hariri impose son plan, la rue reste mobilisée," résumait le quotidien francophone L'Orient Le Jour.
"A entendre les premières réactions, il semble que la rue n'ait pas mordu à l'hameçon", explique à l'AFP l'universitaire et chercheur en sciences politiques Karim el-Mufti.
Selon lui, il aurait fallu des "mesures beaucoup plus radicales", au-delà d'annonces économiques d'urgence, pour convaincre les Libanais qui réclament "un vrai partage du fardeau en période de crise" et une refonte en profondeur du système.
Heiko Wimmen, analyste pour l'ONG International Crisis group, est du même avis: "il s'agit de mesures techniques qui peuvent améliorer la situation budgétaire du pays mais qui ne sont pas à la hauteur du défi posé par les manifestants".
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Le mouvement de colère a pris la classe politique par surprise, déclenché par l'imposition jeudi d'une nouvelle taxe sur les appels passés via la messagerie WhatsApp.
L'annulation rapide de celle-ci n'a pas empêché la colère de grandir et, fait exceptionnel, la mobilisation contre la classe dirigeante a gagné l'ensemble du pays, y compris les fiefs du Hezbollah pro-iranien qui ignoraient jusque-là ce type de contestation.
Conscient de l'ampleur du phénomène, M. Hariri a tenté lundi d'amadouer les manifestants en leur assurant que son plan n'était pas un "marchandage" pour stopper la contestation. "Ces décisions n'ont pas été prises pour vous demander de cesser de manifester ou d'exprimer votre colère", leur a-t-il dit.
L'issue du mouvement semblait mardi plus incertaine que jamais. Pour Karim el-Mufti, "un bras de fer" s'est engagé entre la rue et le pouvoir. "L'opinion publique s'est invitée à la table des grands et a bien l'intention d'y rester", estime-t-il.
Mais, selon lui, le mouvement manque cruellement à ce stade de figures capables de le représenter pour discuter d'une alternative politique. "Si le gouvernement, le Parlement et le président ne représentent pas la rue, quelle est l'alternative?", s'interroge-t-il, ajoutant : "le vide n'est pas une option".