Situation explosive en Algérie: un «Game of Thrones» se joue au sommet du pouvoir

Des Algériens manifestent contre le général Gaïd Salah, le 29 mars à Alger.

Des Algériens manifestent contre le général Gaïd Salah, le 29 mars à Alger. . DR

Alors qu’il tentait de faire croire à l’unité de l’armée dans la gestion de la crise en Algérie, Gaïd Salah parle désormais d’«alliances», et entend se maintenir en place contre le clan Bouteflika qui a scellé un nouveau pacte avec les anciens du DRS. Une situation très grave, qui annonce le pire.

Le 31/03/2019 à 12h07

L’Algérie est au bord de l’explosion. C’est la conclusion à laquelle l’on arrive à la lecture du dernier communiqué du chef d’état-major de l’armée algérienne, et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah, diffusé hier, samedi 30 mars, à l’issue d’un véritable conclave qu’il a tenu avec ses hommes.

En surface, on n’y apprend rien de nouveau. Le communiqué ne fait que réitérer la position déjà connue de l’armée, exprimée le 26 mars dernier par le même Gaïd Salah: pour sortir l’Algérie du cycle des contestations populaire et d’une crise politique sans précédent depuis l’entrée en fonction du président Abdelaziz Bouteflika, il faut activer l’article 102 de la Constitution. Cela revient, comme on le sait, à déclarer le président gravement malade et inapte à gouverner, et donc enclencher le processus de sa destitution.

Sauf que, une semaine après, dans des manifestations populaires géantes organisées vendredi dernier, les Algériens ont rejeté en bloc à la fois le maintien en fonction de Bouteflika et son clan, mais aussi la proposition de Gaïd Salah. Au demeurant, depuis l’appel à appliquer l’article 102, rien ne s’est produit. Le président du Conseil constitutionnel, censé déclarer cette inaptitude, et du reste un fidèle de Bouteflika, n’a toujours pas bougé le petit doigt. Conclusion: le clan du président résiste.

Gaïd Salah n’est pas serein, visiblement. La preuve, il essaie un coup de force qui frise le ridicule. Il affirme «que la majorité du peuple algérien, à travers les marches pacifiques, a accueilli favorablement la proposition de l’ANP». Sic. Un aveuglement qui cache le degré d'irritation, au plus haut point, du plus haut gradé de l’armée algérienne.

Car en profondeur, la situation est bien plus grave. Toujours selon Ahmed Gaïd Salah, «des parties malintentionnées s’affairent à préparer un plan visant à porter atteinte à la crédibilité de l’ANP [l'armée algérienne, Ndlr] et à contourner les revendications légitimes du peuple», en mettant en doute l’applicabilité de l’article 102. Ces «parties» auraient ainsi tenu une réunion, hier, samedi 30 mars, «en vue de mener une campagne médiatique virulente à travers les différents médias et sur les réseaux sociaux contre l’ANP et faire accroire à l’opinion publique que le peuple algérien rejette l’application de l’article 102 de la Constitution».

Gaïd Salah s’est toutefois bien gardé de nommer ces «parties», mais a menacé de révéler leur identité le moment venu. Mais l’allusion à ces parties est tellement claire que nombre de médias, dont Algérie1, n’ont fait aucun mystère sur cette réunion «secrète» qui se serait tenue hier samedi 30 mars, «en fin de matinée à Zeralda [la résidence médicalisée où séjourne Bouteflika entouré de son clan, Ndlr] entre l’ancien patron du DRS (Département du renseignement et de la sécurité, Ndlr), Mohamed Médiene dit «Toufik», le chef du DSS [le Département de surveillance et de sécurité, Ndlr], le général-major Athmane Tartag dit «Bachir» et Saïd Bouteflika, le tout-puissant frère du président».

«On imagine bien que cette réunion a porté sur la situation de crise que vit le pays et surtout la perspective de riposte du clan présidentiel face à la volonté du chef d’état-major de passer en force en imposant l’application de l’article 102», poursuit Algérie1.

La clan Bouteflika s’est donc tourné vers l’ancien homme fort de l’Algérie, le général «Toufik» qui a été mis à la retraite, mais qui garde une grande influence sur nombre de gradés qui ont travaillé sous ses ordres. Cette nouvelle alliance à laquelle prend part un autre homme militaire puissant, donné plusieurs fois pour démissionnaire mais qui a gardé son poste, le général-major Tartag, signifie que le clan Bouteflika n’entend pas répondre à l’appel de Gaïd Salah. Bien au contraire, ce clan organise sa riposte qui pourrait aller jusqu’au limogeage du chef d’état-major, par Abdelalziz Bouteflika.

A la lecture du communiqué de Gaïd Salah et au ton très irrité qui le sous-tend, visiblement ce dernier veut montrer ses muscles à ceux qu’il considère comme des conspirationnistes. Le fait qu’il ait rassemblé d’autres hauts gradés autour de lui se veut comme un message que l’armée est derrière lui, que l’armée c’est lui. S’il était serein, il aurait fait l’économie d’un tel déballage sur la place publique. La réalité est en effet plus inquiétante et la situation actuelle augure des scissions dans l’armée algérienne.

La fissure réelle, est, de fait, plus profonde que ce que le chef d’état-major veut bien montrer. De plus, contrairement aux apparences, celui-ci ne contrôle pas la situation.

D’ailleurs aucun clan ne contrôle la situation. Et c’est en cela que l’heure n’a jamais été aussi grave en Algérie. Gaïd Salah, qui ne reconnaît plus d’autorité à Abdelaziz Bouteflika, n’acceptera pas sa mise à la retraite. Jusqu’où peut-il aller ? Avec la nouvelle alliance du clan Bouteflika, la partie ne sera pas facile pour Gaïd Salah. Les deux blocs ne peuvent pas se regarder indéfiniment en chiens de faïence. L’un ou l’autre va prendre une initiative qui peut dégénérer en affrontement armé entre deux parties aux forces plus équilibrées qu’il n’y parait. Ce qui peut engager l’Algérie dans des temps bien sombres et voler au peuple sa fabuleuse mobilisation pacifique.

Par Tarik Qattab
Le 31/03/2019 à 12h07