Discret depuis l’éclatement du soulèvement populaire en Algérie contre le régime, Khaled Nezzar vient de commettre une sortie médiatique pour le moins spectaculaire. Le média est approprié: c’est en effet le site Algérie Patriotique, fondé par son propre fils Lotfi Nezzar, qui lui sert de tribune. A cette occasion, le site, qui avait annoncé sa fermeture, reprend du service.
De sa longue et fastidieuse publication, on retiendra que le général à la retraite s’en prend désormais directement à Saïd Bouteflika, frère du président déchu, présenté comme le véritable N°1 de l’Algérie du temps du règne de son clan. Khaled Nezzar se présente aujourd’hui comme un opposant aux Bouteflika. Il promet, dans ce sillage, de rééditer un livre écrit par ses soins en 2003 pour "fustiger le régionalisme, la corruption, la folie des grandeurs, la vassalisation de toutes les institutions du pays, l’achat des consciences par cet homme [Abdelaziz Bouteflika, Ndlr], qu’un accident de l’histoire a placé dans la proximité de feu le président Boumédiène et qui a abusé de la bonne foi de ceux qui ont placé en lui leur confiance en 1999".
Depuis l’éclatement du soulèvement populaire en Algérie, Khaled Nezzar révèle ainsi s’être entretenu, à deux reprises, avec celui qui, jusqu’à la dernière minute, "s’est accroché au pouvoir, multipliant les tentatives de diversion, les manœuvres, les manigances désespérées pour garder la haute main sur les affaires du pays". Nommez non pas Abdelaziz, mais Saïd Bouteflika.
"L’hologramme du Président" est présenté comme un homme avide du pouvoir et qui ne pouvait, ou ne voulait pas, imaginer que le rideau était définitivement tombé.
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Lors de ces entretiens téléphoniques, Khaled Nezzar se proclame voix de la sagesse. A un Saïd Bouteflika, "paniqué", il aurait conseillé, une première fois, le 7 mars 2019 déjà, que le président se retire soit par démission, soit par invalidation par le Conseil constitutionnel, qu’un gouvernement de technocrates soit désigné et que des commissions indépendantes préparent de nouvelles élections. A cela, Saïd Bouteflika aurait opposé un niet catégorique, préférant "un état d’urgence" ou "un état de siège", à une solution politique.
"A cet instant, je me suis rendu compte qu’il se comportait comme le seul décideur et que le Président en titre était totalement écarté", explique doctement le général à retraite. Une accusation très grave qui peut valoir à Saïd Bouteflika des poursuites pour des charges aussi graves qu’usurpation d’identité, et faux et usage de faux.
Le même Saïd Bouteflika serait revenu à la charge le 30 mars 2019, mais cette fois, pour suggérer à Khaled Nezzar une nouvelle option: celle de destituer le chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, qui avait entre-temps lâché la candidature de Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat.
Craignant une dislocation de l’armée, Khaled Nezzar l’en aurait dissuadé et répété l’option de sortie politique qu’il avait préconisée au départ. "La mise en pratique d’une telle proposition nous aurait sortis de la crise. Ils n’ont pas voulu le faire", ajoute Nezzar.
On l’aura compris: c’est le portrait d’un véritable tyran et d’un usurpateur d’identité et du pouvoir algérien qui est dressé de Saïd Bouteflika. Ce dernier est littéralement livré à la vindicte populaire. Mais le tout est de savoir pourquoi, et, surtout, pourquoi maintenant.
Accusé d’être un des artisans de la décennie noire qui a coûté la vie à plus de 200.000 Algériens au nom de la lutte contre les extrémistes islamistes et de malversations diverses depuis son départ à la retraite, des marchés publics "offerts" en prime, qu’espère donc Khaled Nezzar?
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Aurait-il négocié une sortie avec le chef d’état-major? Y aurait-il un pacte entre l’armée et lui, supposant une dénonciation du régime Bouteflika et du frère du président déchu en contrepartie d’une amnistie? Est-ce là un prélude probable à des poursuites contre Saïd Bouteflika en l’occurrence, jusqu’ici épargné?
Jusqu’ici, en effet, seul l’entourage immédiat des Bouteflika fait l’objet d’une purge massive, des proches comme l’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia ou encore les hommes d’affaires Kouninef et Ali Haddad, font l’objet de poursuites. Mais il n’est pas exclu que l’étau se resserre autour du chef de la «bande».
En procédant de la sorte, Khaled Nezzar marque aussi ses distances avec un autre détracteur de Gaïd Salah, le général Mohamed Mediène, dit Toufik, du reste nommément cité par Ahmed Gaïd Salah comme un des «comploteurs» contre la stabilité de l’Algérie en ces temps troubles. Toufik s’était réuni avec Saïd Bouteflika. Ce qui lui a valu les diatribes à répétition de Gaïd Salah. En jetant en pâture Saïd Bouteflika, Khaled Nezzar prend publiquement ses distances avec le général à la retraite Toufik et choisit le camp du plus fort. Cette allégeance à Gaïd Salah, sous forme d’un pacte consistant à livrer des charges très lourdes contre Saïd Bouteflika, place aussi une épée de Damoclès au-dessus de la tête de Toufik qui peut être poursuivi pour complicité avec le frère du président déchu.
Jeter en pâture Saïd Bouteflika au grand public et faire, de fait, le jeu du chef de l’armée, suffira-t-il à calmer la rue algérienne, toujours mobilisée contre (l’ensemble) du système? Rien n’est moins sûr. Lors des manifestations de vendredi dernier, Gaïd Salah était davantage ciblé par les Algériens que Saïd Bouteflika.