"Je veux dire à ceux qui n'ont pas voté pour moi que nous sommes dans le même bateau (...). Ce qu'il faut, c'est tous s'unir, nous devons éviter les divisions", a dit lundi l'ex-militaire à la télévision Globo, tranchant ainsi avec le ton diviseur de sa campagne.
Jair Bolsonaro, qui prendra ses fonctions le 1er janvier, a également assuré sur la chaîne Record, à propos du Venezuela dont il a souvent vertement dénoncé le régime chaviste, que le Brésil allait "toujours chercher la voie pacifique pour résoudre ce problème" qu'est "la dictature" de Nicolas Maduro.
Un article du quotidien Folha de Sao Paulo de lundi affirmait que la Colombie serait prête à donner son soutien au Brésil s'il aidait à "renverser Nicolas Maduro à travers une intervention militaire". Le journal a cité un haut fonctionnaire à Bogota sous couvert d'anonymat, mais le gouvernement colombien a opposé un net démenti lundi soir dans un communiqué.
Interrogé là-dessus, Jair Bolsonaro a dit qu'il n'avait pas abordé ce sujet dans sa "discussion protocolaire" avec le président colombien Ivan Duque.
Ses premiers discours -- trois au soir de son élection -- prononcés sur un ton martial et dans lesquels il n'a pas eu un mot pour son adversaire défait -- auguraient toutefois d'un virage radical.
Bolsonaro, qui a battu le candidat de gauche Fernando Haddad, veut une rupture par rapport à tout ce qui a été fait par sa bête noire, le Parti des travailleurs (PT), qui avait remporté les quatre dernières présidentielles et est jugé par des dizaines de millions de Brésiliens responsable des maux du pays.
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Haddad, du PT, qui avait rompu avec tous les usages en n'appelant pas son adversaire au soir de sa victoire, a fini par lui souhaiter lundi "bonne chance" dans un tweet.
Bolsonaro va succéder, pour quatre ans, au conservateur Michel Temer, qui lui laissera les rênes d'un pays miné par la violence, le chômage et la corruption.
Jair Bolsonaro devrait se rendre à Brasilia la semaine prochaine pour s'entretenir avec M. Temer, si ses médecins l'y autorisent.
Depuis l'attentat ayant failli lui coûter la vie le 6 septembre, Jair Bolsonaro, qui a subi des perforations de l'intestin, porte une poche de stomie. Il limite les sorties de son domicile et fuit la foule.
Le nouveau gouvernement "va changer le modèle économique du pays", a lancé dès dimanche soir Paulo Guedes, futur "super ministre" ultra-libéral, fustigeant le "modèle socio-démocrate" et évoquant les privatisations et la réforme des retraites qui s'annonce épineuse et extrêmement impopulaire.
Bolsonaro, qui avoue son incompétence en la matière, "devra remettre l'économie en mouvement le plus rapidement possible, car il n'aura une marge que de six mois, ou un an", dit Leandro Gabiati, directeur du cabinet de consultants Dominium, à Brasila.
La Bourse de Sao Paulo a accueilli avec prudence l'élection du candidat fraîchement converti à l'ultra-libéralisme, qu'elle avait déjà anticipée en engrangeant 10% en un mois.
Elle a même perdu 2,24% en clôture sur des prises de bénéfices après avoir ouvert en hausse de plus de 3%. Le réal est momentanément monté à 3,60 pour un dollar, au plus haut face à la devise américaine depuis avril, avant de retomber lui aussi en fin de séance.
Les marchés sont dans l'expectative de mesures concrètes et rapides pour redresser une 8e économie mondiale chancelante.
Le président élu, qui n'a fait voter que deux lois en 27 ans de députation, arrive à la tête d'un pays de 208 millions d'habitants sans aucune expérience du pouvoir, comme ses futurs ministres.
Une fois installé dans le palais du Planalto à Brasilia, l'ancien capitaine aura aussi fort à faire pour recoller les morceaux d'un pays qui s'est fracturé profondément.
Les plus optimistes pensent que cet admirateur de la dictature militaire (1964-85) abandonnera sa rhétorique au vitriol une fois au pouvoir. Mais d'autres le voient gouverner d'une manière très idéologique et faire prendre un virage vertigineux au Brésil.
Bolsonaro sera sous la surveillance de la communauté internationale. Il a déjà reçu lundi de l'Union européenne, qui lui a demandé de "consolider la démocratie", le signal qu'il serait sous le radar. A Paris, le président Emmanuel Macron lui a aussi rappelé la nécessité du "respect" des "principes démocratiques".
Mais à Rome, Matteo Salvini, patron de l'extrême droite italienne et homme fort du gouvernement, s'est félicité qu'"au Brésil aussi les citoyens ont chassé la gauche!". Steeve Bannon, ex-conseiller de la Maison blanche, s'est réjoui de l'arrivée au pouvoir d'un "leader populiste nationaliste".
Le président américain Donald Trump avait téléphoné à Bolsonaro, qui l'admire, dès dimanche soir pour le féliciter, ce qu'a fait lundi le président russe Vladimir Poutine dans un communiqué. Lundi, Trump a souhaité dans un tweet "un rapprochement dans les domaines commercial et militaire" avec Brasilia.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu l'a invité en Israël. Bolsonaro veut, comme Trump en mai, faire le transfert hautement polémique de l'ambassade du Brésil de Tel-Aviv à Jérusalem.
Bolsonaro aura-t-il les moyens de mettre en oeuvre sa politique? "Il sera face au Congrès le plus fragmenté de l'Histoire", relève Gaspard Estrada, specialiste de l'Amérique latine à Sciences Po.
Le président "sera tenté de prendre des mesures très dures, sans passer par le Parlement", où il aura beaucoup de mal à former une majorité, dit M. Estrada, qui "craint des dérapages dès le début de son mandat".