Les Algériens se sont à nouveau mobilisés en nombre à travers le pays vendredi, refusant la transition prévue par le pouvoir intérimaire, et l'organisation d'une présidentielle le 4 juillet.
Les contestataires, qui défilent chaque semaine depuis le 22 février, estiment que le pouvoir en place, issu du "système" du président évincé Abdelaziz Bouteflika, ne peut garantir un scrutin libre et équitable.
La journée s'est déroulée sans incident dans la plupart des villes, mais à Alger, la manifestation qui avait commencé dans une ambiance plus tendue qu'à l'habitude, s'est achevée par des heurts entre quelques centaines de jeunes et des policiers.
Ce n'est pas la première fois que la police tire des gaz lacrymogènes face à des irréductibles. Mais le face-à-face a débuté cette fois avant même la fin de la manifestation.
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Pour Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (LADDH), "la mobilisation de vendredi était différente par l'ampleur de la répression".
"Le décor a été planté dès le début de la matinée: d'habitude, cela commence dans la joie à la Grand Poste, mais là il y a eu une volonté des autorités d'occuper les lieux", souligne-t-il.
Des policiers anti-émeutes ont été déployés, pour la première fois un vendredi, sur le parvis de ce bâtiment emblématique devenu point de ralliement des manifestants, tentant même en vain de faire évacuer les lieux en début de matinée.
Si les forces de l'ordre ont, comme les manifestants, "fait preuve de retenue, il y a eu malgré tout une volonté d'empêcher la mobilisation", déplore Salhi.
Pour lui, le tournant a eu lieu dès mardi, lorsque la police a tenté de disperser une manifestation d'étudiants par des tirs de grenades lacrymogènes et de canons à eau.
C'était la première fois que la police ne se contentait pas d'encadrer une manifestation, mais tentait de l'empêcher.
Selon la LADDH, la police a arrêté samedi plusieurs militants qui s'apprêtaient à retourner manifester devant la Grand Poste. L'ONG a déploré un "harcèlement" de contestataires pacifiques.
Alors que les manifestations se sont multipliées en dehors du vendredi ces derniers temps, "les forces de l'ordre essaient de recadrer, et commencent à réduire l'espace public d'expression", estime le politologue Cherif Driss.
Mais "la riposte reste modérée et professionnelle, avec surtout des canons à eau et des lacrymogènes: il n'y a pas de répression brutale", précise-t-il.
Pour lui, il est trop tôt pour dire si les heurts de vendredi sont la conséquence "d'une stratégie de limiter les manifestations, ou d'une réaction à des groupes infiltrés".
Police comme manifestants ont attribué les violences à des "délinquants" infiltrés.
Pour Cherif, impossible de savoir s'il s'agit de l'inévitable proportion de tels "délinquants" que draine toute mobilisation massive, ou de groupuscules manipulés, et par qui.
La Direction générale de la Sureté nationale, faisant état de 83 blessés parmi les policiers, a annoncé 108 arrestations. Elle s'est défendue de toute volonté de répression, assurant se limiter au maintien de l'ordre.
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Des manifestants ont également été blessés, et au moins un a été touché à la poitrine par ce qui semble être une balle en caoutchouc comme celles tirées ponctuellement par les forces anti-émeutes, a constaté un photographe de l'AFP. Il n'a pas été possible d'obtenir de bilan global.
Pour Abdelouhab Ferfaoui, de Rassemblement Action Jeunesse (RAJ-Algérie), organisation visant à mobiliser les jeunes sur les questions de citoyenneté, "les contestataires sont très attachés à la poursuite du mouvement sous sa forme pacifique". "C'est la clé de la réussite", souligne-t-il.
En plein heurts vendredi, des manifestants se sont d'ailleurs interposés entre les émeutiers et la police, levant les mains et scandant le slogan récurrent "silmiya" (pacifique), jusqu'à faire retomber la pression, ont constaté des journalistes de l'AFP.
"Les gens n'ont pas répondu malgré la répression, on a vu des citoyens défendre des policiers, mais nous voulons aller vers une solution politique rapidement pour éviter toute exaspération", souligne Salhi. "Laisser pourrir la situation jusqu'aux élections dans trois mois n'est pas une solution".