On se serait attendu à ce que l'Etat algérien intervienne pour mettre un bémol à la vociférante campagne anti-migrants subsahariens partie il y a une semaine d'un hashtag: "Non aux Africains en Algérie". Circulez, rentrez, cette campagne n'a fait que redoubler d'intensité et ses promoteurs galvanisés par le silence officiel ont plutôt rivalisé en petites phrases assassines: "Il faut les exterminer comme des rats, car ils vivent comme des rats." "Rentrez chez vous." "C'est une occupation intérieure." "Chassons-les pour préserver nos enfants et nos soeurs." "Les Algériens prioritaires, dehors les Africains." "Ils violent et répandent le Sida dans nos villes."... En somme, des tombereaux de mépris et de haine déversés au jour le jour contre de pauvres hères que la précarité a emmenés en Algérie, laissant derrière eux le spectacle effarant de guerre civile, de famine et de bien d'autres maux qui sont le lot quotidien de la région sahélo-saharienne.
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Or il s'est trouvé qu'au milieu de cette déferlante de jurons racistes, et contre toute attente, vrombit finalement une voix en provenance (tenez-vous bien) du chef du RND (parti au pouvoir) et non moins chef de cabinet du président Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Ouyahia. Intervenant samedi dernier sur une chaîne de télévision privée, dont l’enregistrement a été diffusé hier sur le site du parti, ce dernier a affirmé: "D’abord, ces gens (les migrants subsahariens) sont venus de manière illégale". "Au sein de cette communauté installée de manière illégale dans notre pays, il y a les crimes, de la drogue et beaucoup de graves fléaux", a-t-il ensuite lâché. Et d'ajouter: "Nous ne pouvons pas laisser le peuple algérien vivre dans l’anarchie. Ceux qui nous parlent des droits de l’Homme, je leur dis que nous sommes souverains chez nous".
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Relevés dans la bouche d'un très proche collaborateur du chef de l'Etat algérien, qui plus est chef d'un parti aux affaires, ces propos sont d'une gravité telle qu'ils pourraient être perçus par l'Algérien lambda comme une incitation à la haine et en rajouter à la souffrance de milliers de Subsahariens, déjà confrontés à la précarité de leur situation -ils sont confinés en banlieue algéroise dans ce qui s'apparente aux camps de la honte- et le racisme anti-noir qui prend des proportions alarmantes dans l'Algérie de Bouteflika.
Ces propos scandaleux ne peuvent naturellement sortir de la bouche d'un responsable de parti, a fortiori du chef de cabinet du président algérien. Or, monsieur Ouyahia détient justement cette double casquette. Ses propos engagent-ils la présidence de l'Etat algérien? Remarquez que trois jours après sa sortie scandaleuse, l'auteur de cette saillie n'a eu droit à aucun recadrage de la part de la présidence algérienne. Pas plus d'ailleurs que le très controversé Farouk Ksentini, le pourtant président de la commission des droits de l'Homme qui s'est signalé à l'attention en décembre 2016 quand il a accusé les migrants subsahariens de "propager le sida en Algérie"! Dans une interview au quotidien arabophone Essawt El Akher datée du 5 décembre, cet avocat algérien en charge, excusez du peu, de la "promotion et de la protection des droits de l’homme", a avancé que "la présence des migrants et des réfugiés africains dans plusieurs localités du pays peut causer des problèmes aux Algériens". Selon lui, cette présence expose les Algériens "au risque de la propagation du sida, ainsi que d'autres maladies sexuellement transmissibles", avant d’ajouter que "cette maladie est répandue parmi cette communauté".
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Est-ce le fruit du hasard que ces deux personnalités désignées par le président Bouteflika commettent, dans un intervalle de sept mois, des propos honteusement racistes envers des Africains dont le seul "délit" est d'avoir une autre couleur de peau? Dire que le racisme anti-noirs n'inquiète plus le régime algérien, qui s'autoproclame pourtant "ami des Africains" et claironne sur tous les toits que l'Algérie était "toujours une terre de refuge et d'accueil".
Les propos d'Ouyahia soulèvent un tollé chez les ONG des droits de l'HommeUn silence officiellement consentant qui tranche toutefois avec ce remarquable tollé soulevé par les propos scandaleux du chef de cabinet de la présidence algérienne chez les ONG de défense des droits de l'Homme, en Algérie comme partout ailleurs. La réaction d’Amnesty International ne s’est pas ainsi fait attendre. Dans un communiqué rendu public hier dimanche, l’organisation juge les propos de l’ancien chef de gouvernement «choquants et scandaleux !» Pour elle, «de tels propos alimentent le racisme et favorisent la discrimination et le rejet de ces personnes», et de ce fait, elle rappelle à Ahmed Ouyahia que «ces personnes ont fui les guerres, la violence et la pauvreté».
Ces déclarations ont provoqué de très vives réactions chez la société civile, associations et internautes algériens, mais également chez le Parti des travailleurs. Le PT de Louisa Hanoune a en effet dénoncé, par le biais de son député Ramdane Tâzibt, une "campagne xénophobe". Le Parti, se disant "horripilé" par les propos de Ouyahia, a également appelé "l’État à prendre ses responsabilités devant la tragédie qui frappe nos frères africains".
La Ligue algérienne de Défense des droits de l'Homme (LADDH) a de son côté dénoncé une "campagne raciste et xénophobe". Son président, Nourredine Benissad, a appelé à "démystifier ce phénomène", soulignant que "le migrant n’est ni un délinquant, ni un criminel ou porteur de maladies" comme l'a déclaré le chef de cabinet de la présidence.
Seul hic, le silence assourdissant de l'Union africaine. Une mise au point de la part de la commission de l'UA, présidée par le Tchadien Moussa Faki Mahamat, s'impose avec d'autant plus de force que l'Algérie est membre de cette structure panafricaine.
Si les responsables algériens tiennent des propos aussi ouvertement racistes sans même pas prendre les précautions d’usage de certains partis d’extrême droite en Europe, c’est que la haine des populations noires est très enracinée chez notre voisin de l’Est. Le chef de cabinet de Bouteflika n’engage pas seulement sa responsabilité et celle de son parti. L’Etat algérien est responsable de la diffusion et l’encouragement du racisme. Responsable aussi de tous les dérapages, maltraitances et persécutions qui en découlent.