Plus de deux heures avant l'heure prévue de la 4e journée de grandes manifestations hebdomadaires à travers l'Algérie, qui débutent traditionnellement à l'issue de la grande prière musulmane, la place de la Grande-Poste est noire de monde en ce vendredi test.
Agé de 82 ans, affaibli par les séquelles d'un AVC qui l'empêche de s'adresser aux Algériens depuis 2013 et rendent ses apparition publiques rares, Bouteflika est la cible d'une contestation massive, jamais vue depuis son élection à la tête de l'Etat il y a 20 ans.
Face aux manifestations réclamant depuis le 22 février qu'il renonce à sa candidature à un 5e mandat, le président Bouteflika a repoussé la présidentielle prévue le 18 avril, jusqu'à l'issue d'une prochaine Conférence nationale devant réformer le pays et élaborer une nouvelle Constitution, prolongeant sine die son mandat, au-delà de son expiration le 28 avril.
"On voulait des élections sans Boutef, on se retrouve avec Bouteflika sans élections", s'insurge une pancarte, résumant le sentiment des contestataires depuis l'annonce du chef de l'Etat.
"Quand on dit +non au 5e mandat+, il (Bouteflika) nous dit +on garde le 4e, alors+", indique une autre.
Comme les semaines précédentes, l'emblème national -vert et blanc, frappé du croissant et de l'étoile rouges- est omniprésent: drapeaux de toutes ailles, brandis ou portés en cape, écharpes, casquettes...
Le drapeau algérien est également largement déployé aux balcons des immeubles. Une dizaine de camionnettes de la police sont garés à proximité du rassemblement mais les policiers n'interviennent pas.
"Hé, ho, enlevez le clan (au pouvoir), on sera heureux", chantent les manifestants --hommes, femmes et enfants, de tous âges-- à pleins poumons.
De nombreux manifestants ont expliqué à l'AFP être venus dès la veille à Alger, où ils ont passé la nuit chez des parents ou amis, craignant de ne pouvoir rejoindre la capitale en raison de barrages ou en l'absence de bus.
"On savait qu'ils allaient fermer les routes, alors on a passé la nuit" à Alger, expliqué à l'AFP Mokrane, maçon de 43 ans, venu de Tizi-Ouzou, grande ville de la région de Kabylie, à environ 100 km à l'est de la capitale.
Naïma, 45 ans, a fait 350 km de route pour venir la veille de Jijel pour protester contre le "4e mandat prolongé". Lamia, enseignante de 30 ans est venue de Bouira (80 km au sud-est d'Alger) pour manifester dans la capitale contre cette "mascarade anticonstitutionnelle".
Une dizaine de camionnettes de police sont garées près de la place et comme presque chaque jour depuis trois semaines, un hélicoptère tournoie depuis le début de la matinée au-dessus du centre de la capitale.
"Vous faites semblant de nous comprendre, on fait semblant de vous écouter", indiquent des pancartes de manifestants devant la Grande-Poste, en réponse aux efforts déployés toute la semaine par le pouvoir pour tenter de convaincre que le chef de l'Etat avait répondu à la colère des Algériens.
En manifestant en nombre mardi et mercredi, étudiants et universitaires, puis enseignants et lycéens, ont déjà fait savoir clairement qu'ils estimaient que le message de la rue --le système actuel dans son ensemble doit partir-- n'était pas passé.
Et toute la semaine, les appels à manifester massivement pour un 4e vendredi consécutif ont été relayés par les réseaux sociaux, avec des mots-dièses explicites: "#Ils_partiront_tous", "#Partez!". Avec souvent une touche d'humour: une image conjugue le mois de mars sur le modèle du verbe "marcher": "je marche, tu marches (...) ils partent".
La conférence de presse conjointe jeudi du nouveau Premier ministre Nourredine Bedoui --qui a remplacé lundi le très impopulaire Ahmed Ouyahia-- et du vice-Premier ministre Ramtane Lamamra, diplomate chevronné, a peiné à convaincre. Au lieu d'apaiser la colère, vive mais toujours pacifique, elle a semblé au contraire la renforcer.
"+Dégagez!+", titre en une vendredi l'édition week-end du quotidien francophone El Watan qui reprend un slogan de la contestation et qui estime que Bedoui a "esquivé les vraies questions" durant son exposé devant les médias.
Les internautes ont également été sévères: sur Twitter, un internaute remercie ironiquement Bedoui et Lamamra de leurs "efforts pour maintenir les Algériens mobilisés" à la veille du nouveau vendredi de manifestations.
"Hier c'était la conférence de presse de votre Premier ministre et vice-Premier ministre, aujourd'hui c'est la conférence de presse du peuple", avertit un autre internaute.
Autre nouveauté: de nombreuses pancartes à Alger fustigent également la France -ancienne puissance coloniale- et son président Emmanuel Macron, qui a "salué la décision du président Bouteflika", tout en appelant à une "transition d'une durée raisonnable".
"C'est le peuple qui choisit, pas la France", indique une grande banderole. "L'Elysée, stop! On est en 2019, pas en 1830", date de la conquête de l'Algérie par la France, rappelle une pancarte.