Le refus de la rue algérienne est catégorique. Et le discours menaçant du chef de l’armée, hier mercredi 10 avril, n’y a rien fait. La preuve la plus patente en sont les nouveaux appels à manifester, demain vendredi, tout particulièrement sur les réseaux sociaux, pour l'abolition du système au pouvoir et la disparition de ceux qui l'incarnent.
Une affiche, qui circule massivement sur la Toile, vaut à ce titre mille mots. Pour les meneurs de la contestation, «aucune voix n’est au-dessus de la voix du peuple». Et celui-ci est constamment «provoqué», «méprisé», «réprimé», et ses espoirs, « trahis». A la peur souhaitée –et savamment distillée– par le général Ahmed Gaïd Salah derrière son discours et le ton martial qui l’a caractérisé, s’est substituée une colère manifeste. Les Algériens appellent donc à un 8e vendredi de protestation, et ils ne veulent pas 1, ni 10, mais 20 millions de leurs concitoyens dans la rue. Un seul mot d’ordre: «non au coup de force contre la révolution».
© Copyright : DR
La désignation d’un président par intérim, Abdelkader Bensalah, en l’occurrence, est en effet l’incarnation même de l’ADN d’un système tant décrié, semaine après semaine, par la rue algérienne. Cette désignation est d’ailleurs, aujourd’hui, cautionnée par le chef d'état-major de l'armée algérienne. Ce qui dresse en barrage ce dernier contre les revendications du peuple et le met en confrontation directe avec la rue.
Lire aussi : Vidéos. Gaïd Salah: «les revendications de la rue sont impossibles»
Se réfugiant derrière l’application de la Constitution, Gaïd Salah ne fait ni plus ni moins que d’imposer les personnes qui ont enfreint les articles de cette même constitution. Celui qui veut apparaître comme un légaliste est en réalité un défenseur du maintien du système en place. En accordant sa bénédiction à Bensalah, personnage jugé fantoche, et particulièrement honni de tous, Gaïd Salah a également validé la date du 4 juillet comme délai pour la tenue d’un scrutin présidentiel devant désigner un successeur à Abdelaziz Bouteflika. Un successeur qui émanerait de ce même régime que les Algériens ne cautionnent pas. Le peuple ne le sait que trop bien, et s’y refuse.
Le peuple va devoir engager un bras de fer avec le général Gaïd Salah qui s'impose désormais comme la personne la plus puissante en Algérie. Une puissance que ne lui dispute plus aucune personne, aucun parti, aucun clan, mais qui subira la dure épreuve de la rue. Les revendications exprimées par les Algériens ont été qualifiés d’«impossibles», d’«irréalisables» par ce même général qui a décrété désormais l’armée comme la garante du processus de transition, contre la volonté populaire.
Lire aussi : Algérie: la date de l'élection présidentielle fixée au 4 juillet
Gaïd Salah prend comme prétexte la Constitution algérienne, qui prévoit un délai de trois mois entre «l’empêchement» et la désignation d’un nouveau chef de l’Etat. Il invoque également la nécessité, d’ici là, d'assurer la continuité des institutions et la stabilité de l'Etat.
Mais les Algériens ne s’y sont pas trompés. Pour eux, c'est surtout un moyen pour le "système" de se maintenir au pouvoir, même après le départ Bouteflika. Interrogée par l’agence AFP, Louisa Dris-Aït Hamadouche, professeur de sciences politiques à l'Université d'Alger, résume bien la situation: favorables au pouvoir, les lois et les institutions du pays ne garantissent pas la tenue d’élections libres. «De plus, déclare-t-elle, les listes électorales ont été dressées en début d'année par les institutions du régime, en vue de la présidentielle initialement prévue le 18 avril, ce qui les rend douteuses aux yeux des manifestants». Mieux encore, la réputation d’orchestrateur de fraudes massives du ministère de l'Intérieur, chargé de mettre en œuvre la tenue du prochain scrutin, le 4 juillet, donc, n’est plus à faire.
Lire aussi : Algérie. «Mains propres»: les grands dossiers de la corruption, selon Gaïd Salah
Autant dire que la rue a déjà tranché et que les appels de ce jeudi 11 avril vont être écoutés demain, vendredi. Fait nouveau, la mobilisation est désormais quotidienne, et elle est de plus en plus massive. La quotidienneté des manifestations est de nature à les rendre très compliquées à gérer. Tant que la rue manifestait une fois par semaine (vendredi, un jour férié), cela était gérable, mais une quotidienneté des manifestations met une pression considérable sur les épaules du régime, incarné désormais par une seule force: l’armée du général Gaïd Salah.
Dans ces conditions, c’est plutôt l’organisation d’un scrutin qui semble «impossible». Des arguments d’un autre temps, comme celle de «la main de l’étranger», ne tiennent plus. Pas plus que les bouc-émissaires présentés au bûcher par Gaïd Salah, à l’image des affaires El-Khalifa ou de la Sonatrach, pour tenter, bien vainement, de reconquérir des foules en colère, au prétexte d’une purge anti-corruption.
Gaïd Salah a besoin de Bensalah comme un exutoire de la colère populaire. Ce dernier, de même que Bédoui et Belaïz, servent de porte coupe-feu entre le général et les slogans de la rue, même si nombre d’entre eux le ciblent directement. Sans les trois B, Gaïd Salah cristallisera les cris de la rue, parce qu’il représente mieux que quiconque le système que les Algériens veulent faire disparaître. Le tout est de savoir si Gaïd Salah ira aller jusqu’au bout de sa surenchère verbale ou s’il va opérer une nouvelle volte-face.
Pour l’heure, les signaux ne sont pas bons. En témoigne la répression violente, là encore un fait nouveau, qui a marqué les manifestations des deux derniers jours. Présenté comme le jour du référendum populaire, vendredi 12 avril démontrera aussi jusqu’où peut aller le général Gaïd Salah pour la survie du système en place.