Affaire Khashoggi: Riyad évoque pour la première fois un acte "prémédité"

Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane.

Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. . AFP

Le procureur général d'Arabie saoudite a évoqué pour la première fois, sur la base d'informations fournies par la Turquie, l'idée que le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi avait été "prémédité" par ses auteurs.

Le 26/10/2018 à 08h38

Les enquêtes se poursuivent, a ajouté le procureur dans un bref communiqué hier jeudi, qui fait aussi mention de "l'équipe de travail conjointe" formée par Ryad et Ankara.

Jamal Khashoggi, journaliste et opposant saoudien, a été tué le 2 octobre dans l'enceinte du consulat saoudien à Istanbul.

Selon des responsables turcs, il a été victime d'un assassinat, soigneusement planifié, et perpétré par une équipe d'agents venus de Riyad.

Après avoir nié sa mort, les autorités saoudiennes, sous la pression internationale, avaient avancé plusieurs versions. Elles évoquaient d'abord une "rixe" ayant mal tourné, puis une opération "non autorisée" et dont le prince héritier Mohammed ben Salmane, considéré comme l'homme fort du royaume, n'avait "pas été informé".

Au total, 18 suspects, tous Saoudiens, ont été arrêtés en Arabie saoudite et plusieurs hauts responsables des services de renseignement limogés.

Peu après l'annonce du procureur, des médias d'État saoudiens ont indiqué que le prince Mohammed, âgé de 33 ans et surnommé MBS, avait présidé hier la première réunion d'une commission chargée de restructurer les services de renseignement.

Mercredi dernier, le prince héritier avait pris la parole pour la première fois sur l'affaire, qualifiant d'"incident hideux" et "douloureux" le meurtre du journaliste qui a provoqué l'indignation internationale et écorné l'image du royaume, premier exportateur de pétrole au monde.

S'exprimant devant le forum Future Investment Initiative (FII) à Ryad, l'héritier du trône a affirmé que "la justice prévaudra" et qu'il n'y aurait "pas de rupture des liens avec la Turquie", les deux pays coopérant dans les enquêtes.

Hier, Human Rights Watch a indiqué que Salah, fils du journaliste tué, avait quitté l'Arabie saoudite pour les États-Unis avec sa famille après la levée d'une interdiction de voyage. Le roi Salmane et MBS, dont l'image a aussi pâti, l'avaient reçu mardi dernier, ainsi qu'un frère de Jamal Khashoggi, et présenté leurs condoléances à la famille.

Hier, la directrice de la CIA Gina Haspel a présenté au président Donald Trump "ses conclusions et ses analyses de son voyage en Turquie", où elle a échangé avec les responsables de l'enquête, a annoncé un responsable américain. Il n'a pas donné plus de précisions.

Agnès Callamard, rapporteure spéciale auprès de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, a été plus directe. Le meurtre "porte toutes les marques d'une exécution extrajudiciaire" et "il revient au Royaume d'Arabie saoudite de démontrer que ce n'était pas le cas", a-t-elle dit à la presse.

Le chef de la diplomatie turque a affirmé qu'il existait toujours "des questions" auxquelles Ryad doit répondre, notamment l'identité des commanditaires et le lieu où se trouve le corps du journaliste assassiné.

"Il y a des questions qui nécessitent des réponses", a déclaré Mevlüt Cavusoglu. "18 personnes ont été arrêtées (en Arabie saoudite), pourquoi elles? Qui leur a donné des ordres? (...) Le corps de Jamal Khashoggi n'a pas encore été retrouvé. Où est-il?"

Selon la télévision publique TRT, les enquêteurs turcs ont prélevé des échantillons de l'eau d'un puits situé dans le jardin du consulat, mais n'ont pas obtenu une autorisation des Saoudiens pour fouiller à l'intérieur du puits.

Les responsables saoudiens ont cherché hier à faire bonne figure en affirmant être "très contents" des résultats du forum FII qui s'est tenu pendant trois jours à Ryad.

La conférence a été "fantastique", a assuré le ministre des Finances Mohammed al-Jadaan, évitant soigneusement d'évoquer les désistements en cascade de responsables politiques et de grands chefs d'entreprise occidentaux choqués par l'affaire Khashoggi.

Le ministre saoudien de l'Energie Khaled al-Faleh a affirmé que "toutes les compagnies qui se sont abstenues (de venir) nous ont appelés ces dernières 48 heures pour présenter leurs excuses et exprimer leurs regrets".

Les organisateurs du FII et le ministère saoudien de l'Information ont assuré que le forum avait favorisé des accords ou des projets d'accord totalisant des dizaines de milliards de dollars.

Comme en 2017, cette conférence internationale avait pour but de projeter le royaume pétrolier comme une destination d'affaires lucrative.

À propos des réformes engagées dans le royaume, le prince héritier a affirmé que "dans les cinq prochaines années, l'Arabie saoudite sera totalement différente".

"Si nous réussissons dans les cinq années à venir, d'autres pays (de la région) nous suivront", a-t-il dit. "C'est la bataille des Saoudiens et c'est ma bataille dans laquelle je suis engagé personnellement".

Hier, la Bourse de Riyad a réagi positivement aux déclarations du prince Mohammed, l'indice Tadawul All-Shares Index (TASI) terminant la séance à +4,3%.

L'Arabie reste néanmoins en posture délicate sur la scène diplomatique, avec les États-Unis et la Grande-Bretagne qui ont annoncé l'annulation de tout éventuel visa détenu par les suspects, la France qui s'est dite prête à des "sanctions internationales" contre "les coupables", ou le Parlement européen qui a jugé "hautement improbable" que le meurtre de Jamal Khashoggi ait été menée à l'"insu" du prince héritier saoudien.

Le 26/10/2018 à 08h38