"Nous pensons que la portée d'un message politique doit se mériter pas s'acheter", a tweeté Jack Dorsey, le co-fondateur et PDG du réseau, avant une longue série de micro-messages détaillant sa décision. Il explique notamment qu'un message politique gagne en audience grâce à des abonnements à un compte ou des retweets. "Payer pour avoir de l'audience supprime ce choix et impose aux gens des messages politiques parfaitement optimisés et ciblés", estime M. Dorsey, ajoutant: "nous estimons que cette décision ne doit pas être polluée par l'argent".
Ce choix contraste fortement avec celui de Facebook, le premier réseau social du monde. Mark Zuckerberg a récemment défendu les messages politiques sur son réseau, y compris s'ils comportaient des mensonges ou des contre-vérités, au nom de la liberté d'expression. Jack Dorsey répond d'ailleurs directement à son alter-ego.
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"Pour nous, ce n'est pas crédible de dire: +nous travaillons dur pour empêcher les gens de contourner les règles de nos systèmes pour diffuser des informations fausses mais si quelqu'un nous paye pour viser et forcer les gens à voir leur publicité politique... alors ils peuvent dire ce qu'ils veulent+ !", a-t-il lancé.
Twitter, comme Facebook ou Google, tire l'essentiel de ses revenus de la publicité, souvent ciblée de manière ultra-fine grâce à la grande variété de données collectées à chaque fois que les usagers se servent des réseaux.
Pour @Jack, "les publicités politiques représentent un tout nouveau défi au discours public", et de citer: l'intelligence artificielle qui permet de rendre l'impact des messages plus efficace, le micro-ciblage qui permet de toucher les gens qu'il faut, des informations fausses qui ne sont pas vérifiées et des "deep fakes" (des photos ou vidéos truquées hyper-réalistes, ndlr). Le tout de plus en plus rapidement, "de manière plus sophistiquée et à des volumes ingérables". Pour l'homme qui a écrit le premier tweet de l'histoire, l'enjeu, c'est la crédibilité des réseaux sociaux, très critiqués pour ne pas avoir bloqué des campagnes de manipulation russes lors de l'élection américaine de 2016.
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La décision a été saluée par de nombreux experts. "Jusqu'à ce que les réseaux sociaux privés soient en mesure d'empêcher que des publicités politiques ne contiennent des informations fausses, c'est la bonne chose à faire", juge ainsi Michelle Amazeen, enseignante à l'université de Boston. Mais Jasmine Enberg, analyste de eMarketer, souligne les limites de la décision: "en raison de la nature même de la plateforme, les usagers, les publicitaires et les politiciens vont utiliser Twitter pour discuter politique, ce qui ne résoudra pas le problème de la désinformation".
Mark Zuckerberg défend de son côté sans relâche sa décision depuis plusieurs semaines. "YouTube (Google) et la plupart des plateformes internet diffusent ces publicités, tout comme la plupart des chaînes payantes. Et la loi oblige les télévisions nationales à le faire", a-t-il déclaré lors d'une conférence pour les analystes mercredi. "Dans une démocratie je ne crois pas qu'il soit juste que des entreprises privées censurent les personnalités politiques ou les informations", a-t-il martelé, avant de rappeler les quelques exceptions, comme en cas d'incitation à la violence.
"Certains nous accusent de juste vouloir faire de l'argent. C'est faux. (...) Les publicités des politiques ne représenteront que 0,5% de nos revenus l'année prochaine", insiste-t-il. Pour le jeune milliardaire, les publicités politiques sont utiles aux petits candidats qui seraient, sinon, ignorés par les médias. Mais la polémique n'a pas cessé d'enfler. Elle a notamment été attisée par un message publicitaire de la campagne présidentielle de Donald Trump sur Facebook -- qui contenait de fausses informations sur un rival démocrate Joe Biden -- et le refus de Facebook de la retirer.
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Pour démontrer l'absurdité, à ses yeux, de la position de M. Zuckerberg, Elizabeth Warren, actuellement en tête des sondages des candidats démocrates de 2020, avait acheté une publicité sur Facebook où elle affirmait --faussement-- que le fondateur de Facebook et le réseau soutenaient officiellement la réélection de Donald Trump. Là encore Jack Dorsey répond: "Nous ne sommes qu'une petite partie d'un écosystème bien plus vaste. D'aucun pourrait argumenter que nos actions annoncées aujourd'hui favorisent ceux qui sont déjà au pouvoir, mais nous avons vu bien des mouvements sociaux atteindre une taille massive sans aucune publicité politique".
"Je suis convaincu que (ce mouvement) ne va qu'aller croissant", a martelé Jack Dorsey. Le chef de la campagne présidentielle de Donald Trump, Brad Parscale, n'y voit de son côté qu'une manoeuvre pour favoriser la gauche: "Encore une tentative de réduire au silence les conservateurs, puisque Twitter sait que le président Trump a le programme en ligne le plus sophistiqué qui ait jamais existé".