Télécoms. Entre appel d’offres, nouvelle loi et lobbying

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La nouvelle loi des télécoms, qui traîne encore dans le circuit législatif, risque sérieusement de compromettre l’appel d’offres pour la licence 4G et la recette prévisionnelle de 1,5 milliard qui va avec. Décryptage.

Le 20/11/2014 à 10h24

Lundi 17 novembre. Maroc Telecom, Méditel et Inwi, les trois opérateurs télécoms du pays, ont accouru pour retirer le cahier de charges relatif à l’appel d’offres public pour l’attribution de licences 4G. Un appel à manifestation d’intérêt bien ficelé, selon les observateurs. L’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT), régulateur du secteur, a mis en concurrence trois fréquences permettant de véhiculer l’internet mobile à haut débit. La mise à prix minimale a été fixée à 500 millions de dirhams pour chacune des fréquences. «Mais le mieux disant parmi les opérateurs pourra s’adjuger la meilleure fréquence», nous explique une source proche de l’ANRT. Et d’ajouter: «Il n’y a pas non plus une grande différence entre les fréquences. Toutes permettent d’assurer une qualité satisfaisante pour les utilisateurs».

1,5 milliard pour l’Etat

L’octroi de ces licences 4G devrait donc rapporter aux caisses de l’Etat un minimum de 1,5 milliard de dirhams. C’est d’ailleurs le montant qui a été budgétisé dans le projet de la loi de finances 2015, à en croire des sources au ministère des Finances. Un chiffre qui n’apparaît pas dans les documents officiels du projet de budget, car dilué dans la rubrique des «produits de monopoles, d’exploitations et des participations financières de l’Etat» qui totalise les 9 milliards de dirhams.

Des opérateurs peu enthousiastes

Mais avant d’empocher ce pactole de 1,5 milliard, non négligeable en ces temps de disette budgétaire, ce processus d’appel d’offres doit d’abord s’avérer fructueux. Et pour l’heure, les opérateurs se montrent peu enthousiastes. «Il est trop tôt de commenter ce cahier des charges. Nous sommes à peine en train de le consulter», nous explique une source autorisée chez Méditel. Le directeur général de l’opérateur avait néanmoins fait une sortie médiatique tonitruante en septembre dernier. En substance Michel Paulin expliquait que l’introduction de la 4G ne peut être réalisée, sans résoudre l’épineuse question de partage des infrastructures que traite une nouvelle loi sur les télécoms qui tarde encore à sortir du circuit législatif. Frédéric Debord, directeur général d’Inwi a récemment remis une couche, de son côté. Dans un entretien accordé à un quotidien de la place, Debord est sorti de ses gonds. «Au moment où cette loi est en pleine discussion, il y a l’appel d’offres 4G qui sort. A un moment il y aura forcément télescopage entre les deux. Or, la logique veut qu’il y ait d’abord la loi et que l’appel d’offres vienne s’inscrire dans l’esprit de la loi. Ceci dit, nous attendons beaucoup de la loi pour fixer les règles du jeu. Sinon, avoir une licence 4G sans connaître les règles du jeu, c’est un petit peu problématique». Le patron d’Inwi laisse ainsi insinuer qu’il ne concurrencera pas pour une licence 4G, sans que la nouvelle réforme des télécoms n’ait eu lieu.

Le gouvernement sous pression?

A travers ces déclarations, les opérateurs mettent la pression aussi bien sur le pouvoir exécutif que sur le pouvoir législatif pour l’adoption de cette nouvelle loi. Pour l’heure, le projet vient à peine d’atterrir au parlement. Il était même question de le présenter en commission devant la première chambre, mais l’échéancier du projet de la loi de finances 2015 est venu prendre le dessus. «Effectivement dans l’idéal, il fallait adopter la loi avant de lancer l’appel d’offres 4G. Mais le Maroc a pris tellement de retard dans l’introduction de cette nouvelle technologie qu’il a fallu finalement lancer l’appel d’offres en parallèle», nous assure une source proche du gendarme du marché des télécoms. Et de lancer une sorte d’appel: «Espérons que le gouvernement comme les élus feront tout ce qu’il faut pour l’adopter avant fin janvier, date butoir pour l’appel d’offres de la 4G».

Lobbying pour retarder une loi

Le laxisme dans l’adoption de cette loi des télécoms a de quoi laisser pantois. Et pour cause, elle a été adoptée aussi bien en conseil de gouvernement qu’en conseil des ministres –présidé par le roi-, il y a presque un an déjà. Le parlement a raté l’occasion de l’adopter lors de la dernière session de printemps. Et nombreuses sont les voix qui se sont élevées pour accuser l’opérateur historique, Maroc Telecom, de faire du lobbying pour bloquer son adoption. En effet, le nouveau projet ne sert pas forcément les intérêts de cet opérateur, car il l’oblige à partager ses infrastructures avec ses concurrents comme cela est admis universellement et appliqué dans plusieurs pays dont la France. Or, Abdeslam Ahizoune l’a, à maintes fois, répété lors de conférences de presse: «Maroc Telecom n’a rien contre le partage des infrastructures, mais il faut les partager de manière équitable de manière à sauvegarder les intérêts de cette entreprise qui a investi de longues années».

L’équité selon Maroc Telecom

L’équité dont parle le tout puissant président du directoire de Maroc Telecom constitue justement le point d’achoppement. Alors que la nouvelle loi donne au régulateur le pouvoir de fixer les tarifs pour ce partage, Maroc Telecom veut garder la main sur ce volet. «Si c’est l’opérateur qui fixe les tarifs, il risque d’appliquer une grille dissuasive pour ses concurrents. Pire, il risque de faire traîner le processus pendant des mois et au final pointer du doigt une supposée difficulté technique à l’appliquer pour telle ou telle autre raison», nous explique un connaisseur du secteur avant d’enfoncer le clou: «En plus, dans tous les pays du monde, c’est le régulateur qui fixe les conditions et les tarifs de partage. Et dans tous les pays du monde, les opérateurs historiques ont tout fait pour retarder l’application de ce principe». Combien de temps tiendra donc Maroc Telecom? Difficile à prédire, surtout que la société semble bénéficier du soutien de son ministère de tutelle (département des technologies de l’information), mais aussi de celui du ministre des Finances qui est président du Conseil de surveillance de Maroc Telecom. Il n’empêche que pour l’argentier du royaume, Mohamed Boussaid, la perspective de voir une recette de 1,5 milliard de dirhams s’évaporer de son budget pourrait l’inciter, tout comme ses collègues ministres siégeant dans le conseil de surveillance de Maroc Telecom, à sortir de leur neutralité. Et peut-être que l’Exécutif se mettra enfin à soutenir cette loi des télécoms pour lui permettre de franchir son dernier obstacle dans le circuit législatif: les sombres arcanes du parlement…

Par Fahd Iraqi
Le 20/11/2014 à 10h24