"Je l'avoue. J'ai eu une révélation alors que je me trouvais dans le désert du sud du Maroc face à la plus grande centrale thermique solaire au monde. Ma révélation n'est pas religieuse, mais elle a sans doute quelque chose à avoir avec le concept de foi indéfinissable", a-t-il écrit dans une tribune publiée récemment sur les colonnes du journal Politiken.
"C'est une croyance en l'Homme, en son inventivité inépuisable et en sa quête de survie, mais pas comme à l'époque de l'industrialisme brutal, une survie qui ne s'exprime pas dans les métaphores dérivées de la guerre, mais de la sphère de la cohabitation et de la communauté", a-t-il souligné.
De retour du Maroc où il a séjourné à l’invitation de la Banque européenne d’investissement (BEI), Jensen entame son récit poétique par une description méticuleuse du désert qui s’étend à l’horizon au pied des montagnes de l’Atlas "comme un fond de mer sec et rocheux" parsemé de taches de sel blanc, qui illuminent ici et là des pierres de basalte gris-noir, qui sont les restes d'un océan ayant autrefois couvert ces étendues.
La BEI, a-t-il rappelé, a investi plus de 300 millions d'euros dans ce qui sera la plus grande centrale thermique solaire au monde et qui fournira de l’électricité à un million de personnes, tout en réduisant de 750.000 tonnes l’empreinte carbone.
Faisant observer qu’"un miroir solaire n’est autre qu'une coopération avec le soleil", il a livré au passage un acerbe réquisitoire contre l’industrialisme qui décrit sa relation avec la Nature sous forme de métaphores, toutes dérivées de la guerre.
"Nous nous décrivons comme le seigneur de la Nature: nous avons conquis la Nature, nous l'avons soumise ou nous l'utilisons. La Nature est un ennemi vaincu ou un esclave sans loi qui peut résister à toute sorte de combats: les cicatrices des mines de charbon et de cuivre dans le paysage, le viol invisible des combustibles fossiles sur l'atmosphère terrestre, l'éradication d'un nombre croissant d'espèces", a-t-il déploré.
"Nous sommes confrontés à notre propre progrès maintenant. A mesure que nous creusons profondément dans la terre, dans les mines de charbon et les champs de pétrole, nous sommes face à nos propres tombes mortes", a-t-il poursuivi.
A ce constat lugubre, l’auteur oppose la richesse historique d’Ouarzazate qui, malgré le désert, donne à voir, à proximité d’une installation à la pointe de la technologie, des maisons construites de terre cuite, des paysans vivant en harmonie avec l’espace, et des tours et remparts richement ornementés ; témoins d’une culture ancestrale aux multiples affluents arabe, berbère, juif et européen.
"Mais ça sert à quoi de parler culture devant une si immense structure solaire qui couvre une zone de 3.000 hectares?", s’est-il interrogé, avant de reprendre que ce projet, né d’une initiative marocaine et porté par des entrepreneurs saoudiens, une technologie espagnole et une main-d’œuvre chinoise, "se détache du temps et de l’espace et exprime plutôt un trait humain universel, notre ingéniosité".
C’est dans ce sens qu’il a relevé que ce projet grandiose est d’abord et surtout l’émanation et l’œuvre du roi Mohammed VI qui, en dirigeant visionnaire, a prévu de réduire de 52% les besoins énergétiques du royaume à l’horizon 2030 en s’appuyant sur les énergies durables.
Après avoir donné un aperçu, témoignages à l’appui, sur les installations impressionnantes de Noor I et Noor II, avec leurs dizaines de milliers de tonnes de miroirs concaves obéissant au commandement du soleil, il a soutenu que Noor III, construit dans un style complètement différent, "me donne l’impression d’être dans une magique forêt de champignons".
Ainsi perçu, le projet "Noor est une louange au Soleil, non pas en tant que divinité, mais en tant que partenaire", dès lors que Noor exprime "une compréhension profonde que nous ne sommes pas le maître de la création. Nous ne faisons qu’emprunter la planète".
Et de conclure que Noor exprime une entreprise humaine commune, un champ de bataille où notre avenir est réglé, non pas en guerre les uns contre les autres, civilisation contre civilisation ou contre la Nature, mais dans la dernière tentative d’éviter notre disparition, en collaboration avec la Nature que nous avons maltraitée.
Carsten Jensen, né le 24 juillet 1952, est un écrivain et journaliste danois qui a travaillé tout d’abord pour le quotidien Politiken et collaboré ensuite avec divers autres titres de la presse danoise, avant d’assurer de 1985 à 1990 le poste de rédacteur en chef de la revue Fredag.
En 1997, il reçoit le Laurier d'or des libraires danois pour un récit de voyage, paru en 1996. Il enseigne à partir de 2001 à la faculté des lettres de l'université d'Odense (Université du sud du Danemark) et participe à des émissions de télévision.
En 2007, la station de radio P2 lui décerne le Prix du roman pour Nous, les noyés, son premier roman. Cet ouvrage sera également couronné par le Prix littéraire de la Banque du Danemark, doté de 300.000 couronnes danoises (40.000 euros). En 2010, il est lauréat du Prix Olof Palme, décerné par la Fondation suédoise éponyme.