Les véritables enjeux de l’avertissement adressé par l’ANRT à Maroc Telecom

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L’ANRT a surpris beaucoup de monde en avertissant Maroc Telecom pour son manque de «collaboration» dans le partage de ses infrastructures. Que signifie cet avertissement? Quels en sont les dessous? Sera-t-il suffisant pour débloquer une situation qui dure depuis plusieurs années?

Le 25/10/2016 à 12h37

L’avertissement adressé par l’ANRT à Maroc Telecom va-t-il inciter l’opérateur historique à reconsidérer son opposition à partager ses infrastructures avec les autres opérateurs? La question est sur toutes les lèvres depuis que la «sanction» a été annoncée par l’agence et publiée dans le Bulletin Officiel.

En quoi consiste réellement cet avertissement qui constitue une première dans l’histoire des télécoms au Maroc? Nous avons tenté d’avoir une réponse auprès du régulateur, mais celui-ci s’est contenté de nous renvoyer vers le texte de la loi sur les postes et télécommunications.

Dans ce texte, il est prévu trois sanctions différentes qui peuvent être appliquées à un opérateur ne s’étant pas conformé à une mise en demeure de l’Agence nationale de régulation des télécoms (ANRT). Celles-ci se déclinent comme suit: l’avertissement, la sanction pécuniaire et la suspension de la licence.

Des trois sanctions prévues par la loi, l’ANRT a donc choisi la moins lourde, à savoir l’avertissement. Dans le texte de la loi, aucune indication n’est faite sur les suites que peut avoir cet avertissement.

Selon un professionnel des télécoms, «il faut surtout interpréter cet avertissement par un signal envoyé aux trois opérateurs en cas de manquement aux directives réglementaires, ce qui constitue en soi une révolution dans le secteur des télécoms».

Un avertissement avant des sanctions plus lourdes ?Mais si les trois opérateurs peuvent être concernés par ce message, il faut surtout reconnaître que c’est bien Maroc Telecom qui est pour l’instant la cible du régulateur. «L’avertissement n’est pas une fin en soi, car l’opérateur concerné est toujours tenu de répondre aux directives de l’ANRT en matière de dégroupage. Et s’il ne s’y conforme pas, on pourra naturellement s’attendre à des sanctions beaucoup plus sévères», ajoute notre spécialiste.

Il faut dire aussi que la décision que vient de prendre le régulateur intervient dans un contexte particulier. Le 26 mai dernier, le Conseil de gouvernement a en effet adopté un nouveau texte réglementaire qui donne le droit à l’ANRT de prononcer une sanction pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires d’un opérateur en infraction. Pour le cas de Maroc Telecom, qui génère des revenus annuels de plus de 30 milliards de dirhams, soit nettement plus que ses concurrents, on se rend rapidement compte du risque que prend l’opérateur historique en étant en conflit avec l’ANRT.

«Le régulateur semble être dans une démarche d’application progressive des sanctions», ajoute notre spécialiste pour qui Maroc Telecom serait fondé de s’attendre à une amende s’il ne changeait pas d’attitude et offre aux concurrents des conditions d’accès à ses infrastructures équivalentes à celles qu’il met à disposition de ses propres services.

0,1% seulement du parc dégroupé !Nul n’ignore que les pouvoirs publics et, en l'occurrence, l’ANRT, misent gros sur le partage des infrastructures pour accélérer le développement du secteur. Or, selon des chiffres que reprend le gouvernement dans le rapport sur les établissements et entreprises publics accompagnant le Projet de Loi de Finances 2017, «le dégroupage de la boucle locale a été mis en œuvre depuis 2007. A ce jour, 0,1% du parc actuel est dégroupé contre un taux dépassant 50% dans les pays européens».

Dans ce même document, il est également précisé que dans le cadre du partage des infrastructures, cinq cents sites mobiles sont partagés entre Méditelecom et Wana dans des conditions normales. «Pour IAM, seule une trentaine de sites est aujourd’hui partagée sur un parc global de 10.000 sites, soit un taux de près de 5%», précise le rapport.

C’est dire que même au niveau du gouvernement, le peu d’engagement de Maroc Telecom dans le partage de ses infrastructures devient problématique.

Des milliards de dirhams en jeuPourquoi alors autant de résistance de la part d’IAM à partager des infrastructures, en grande partie héritées des PTT ? Le360 a posé la question à plusieurs spécialistes et tous s’accordent à dire que Maroc Telecom veut avant tout préserver ses acquis dans le secteur de l’ADSL où l'opérateur est en quasi-monopole. «Si Maroc Telecom a réussi ces dernières années à recruter plus de 400.000 clients ADSL, le nombre d’abonnés recrutés par ses concurrents ne dépassent pas les quelques milliers», témoigne une source chez un concurrent de Maroc Telecom.

Avec le partage des infrastructures, Maroc Telecom risque de perdre gros dans ce segment. Et pas seulement! «Nous savons tous que la téléphonie fixe n’a que très peu d’attrait auprès des consommateurs. Mais en obligeant les clients à s’y abonner pour disposer de l’ADSL, Maroc Telecom parvient à limiter la casse sur ce segment», ajoute la même source. Et d’ajouter : « Techniquement, aucun client n’est obligé d’être abonné au fixe pour avoir l’ADSL.

Avec un meilleur partage des infrastructures, les concurrents de Maroc Telecom pourraient faire jouer cette carte, et cela ferait perdre à l'opérateur une grande partie de ses clients particuliers au fixe. C’est donc la situation de monopole qui explique que Maroc Telecom rechigne à partager ses infrastructures, alors que cela est communément admis dans la majorité des pays soucieux du développement des télécoms et de la libre concurrence entre les opérateurs.

Le projet de la nouvelle loi aurait pu tout arranger…La situation actuelle a également été encouragée par le retard pris dans l’adoption de la nouvelle loi sur les télécoms au Parlement. Celle-ci prévoit de nouvelles dispositions devant moderniser le cadre réglementaire actuel, qui date pour rappel de 2004, ainsi que des dispositions renforcées pour le volet du partage des infrastructures.

Adopté en 2014 en Conseil de gouvernement, puis en Conseil des ministres présidé par le souverain, ce projet de loi traîne depuis, dans les tiroirs du Parlement malgré son caractère prioritaire. Personne ne sait pourquoi.

Un tel retard ne peut avoir qu’une seule explication. Le projet de loi ayant pour principal objectif le renforcement des conditions du partage des infrastructures, il est permis de penser que le patron de Maroc Telecom ait usé de son influence pour retarder, voire enterrer, le projet de loi. Ce lobbying conduit à ce qu’un secteur aussi stratégique continue à être régi par une loi qui remonte à 2004, alors que le projet de sa modification continue à végéter au Parlement depuis cette date.

Dans le même temps, le dernier discours du roi Mohammed VI à l’occasion de l’ouverture de la nouvelle session du Parlement recadre les choses. En effet, ce discours pointe du doigt la situation alarmante de l’Administration marocaine de par la lourdeur de ses procédures et la qualité déplorable de ses prestations à l’adresse des citoyens.

Le discours a également mis l’accent sur l’apport des nouvelles technologies pour changer le visage de l’Administration. Avec cette insistance, on serait donc tenté de dire que le prochain gouvernement pourrait bien placer cette loi parmi ses priorités et faire en sorte que le processus législatif soit accéléré. Du moins, c’est l’espoir nourri par beaucoup de professionnels du secteur.

Mais à voir comment la quasi totalité de la presse papier a fait l’impasse sur l’avertissement adressé par l’ANRT à Maroc Telecom, on est droit de penser que l’opérateur historique a beaucoup plus d’influence qu’on ne le croit.

Par Younès Tantaoui
Le 25/10/2016 à 12h37