Exclusif. Une commission de la DGI et de l’Office des changes se penche sur la fiscalisation de Facebook et de Google

Omar Faraj, Directeur général des impôts et Hassan Boulaknadel, DG de l'Office des changes.

Omar Faraj, Directeur général des impôts et Hassan Boulaknadel, DG de l'Office des changes. . DR

Une commission mixte, créée par la Direction générale des impôts (DGI) et l’Office des changes, va se pencher sur le cas des deux géants du Web, Google et Facebook, qui encaissent d’importants revenus publicitaires au Maroc tout en échappant au fisc.

Le 20/12/2017 à 13h49

Une commission conjointe a été créée par la Direction générale des impôts (DGI) et l’Office des changes, en vue de se pencher sur les revenus publicitaires engrangés au Maroc par les géants de l’internet Facebook et Google, apprend le360 de source sûre. La première réunion de cette commission mixte est prévue en janvier 2018. Et elle aura pour but d’étudier un sujet qui fait mal à l’Office des changes compte tenu de l’évaporation de centaines de millions de dirhams en devises. Des sommes qui échappent également au fisc puisque les deux colosses du Web ne paient pas le moindre dirham à l’État marocain sur des revenus publicitaires encaissés au Maroc.

La première tâche de la commission sera d’estimer le chiffre d’affaires réalisé par Google et Facebook au Maroc. L'établir en se renseignant auprès des annonceurs ne devrait pas représenter une tâche insurmontable, dans la mesure où les transferts d’argent sont soumis aux autorisations de l’Office des changes.

Au Maroc, bien qu’aucune donnée officielle ne soit disponible, les professionnels de la publicité estiment que Google et Facebook accaparent entre 60% et 70%, voire plus, du chiffre d’affaires publicitaire réalisé dans le secteur digital et qui est estimé à plus de 300 millions de dirhams.

Ces géants du Web empochent donc des revenus qui se chiffrent en centaines de millions de dirhams chaque année. «Si l’on ajoute à ce chiffre, les opérations réalisées en direct par des entreprises qui ne passent pas par des agences, on atteint au moins 600 millions de dirhams par an», affirme un professionnel. Et ce chiffre est appelé à croître sensiblement durant les années à venir car, si l’on en croit les professionnels, le chiffre d’affaires de la publicité sur le digital au Maroc enregistre une croissance moyenne de 8% par an, soit le double du reste des segments du marché.

Bien entendu, cette évolution profite en premier lieu aux géants du Web qui restent privilégiés par les annonceurs en raison, non seulement du nombre important d’utilisateurs marocains qu’ils comptent (13 millions rien que pour Facebook !), mais aussi à leur capacité de ciblage à laquelle les autres supports ne peuvent prétendre. Eu égard aux données collectées sur leurs utilisateurs, Facebook, Google et autres parviennent aisément à optimiser le ciblage des annonces publicitaires, et c’est exactement l'un des principaux facteurs sur lesquels se basent les annonceurs pour choisir leur support de communication.

Pour l’heure, les 600 millions de dirhams qu’ils engrangent aujourd’hui au Maroc sont une goutte d’eau dans l’océan du chiffre d’affaires annuel de Google (89,46 milliards de dollars en 2016) et de Facebook (28 milliards de dollars en 2106). Mais cette goutte d’eau porte un préjudice considérable au développement de plusieurs secteurs actifs sur le Web au Maroc, dont la presse électronique qui repose sur un modèle économique intimement lié aux revenus publicitaires. Et puis, il y a la responsabilité morale des deux géants du Web. Comment est-ce que Facebook, Google, ainsi que sa filiale YouTube peuvent pomper aussi ouvertement des revenus dans des pays sans y disposer même d’un bureau, sans payer un seul salarié, sans même avoir un numéro de téléphone local. «Le problème, c’est que les deux géants technologiques américains n’ont aucune représentation ni aucun employé au Maroc et ne sont soumis à aucune imposition. Et cela ne devrait pas continuer», souligne notre source.

«La bataille sera autant juridique que morale. Il est inadmissible que des géants de l’informatique encaissent des sommes d’argent dans des pays en développement sans même payer un seul dollar sur les bénéfices réalisés dans ces pays», commente un annonceur. Considérés sous cet angle, les propos de démocratisation d’accès au Web et autres discours sur la responsabilité morale que mettent en avant les GAFA (Google Apple Facebook Amazon) sonnent terriblement creux.

La bataille juridique sera rudeGoogle a déjà subi plusieurs redressements fiscaux dans des pays européens. En 2017, il a versé 306 millions d’euros aux autorités fiscales italiennes. En 2016, il a également accepté de régler 171 millions d’euros pour couvrir ses arriérés d’impôts au Royaume-Uni. Mais la France a perdu, en 2017, un procès retentissant contre Google. En tant que membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont ne fait pas partie le Maroc, la France est soumise aux règles de cette importante organisation qui stipule qu’une entreprise doit régler des impôts dans un pays si elle y bénéficie d’un «établissement stable». Le tribunal administratif a jugé illégal le redressement record de 1,115 milliard d’euros que le fisc français voulait infliger à Google. En effet, Google se défend en avançant que ses bénéfices sont déclarés dans le pays où est établi son siège en Europe: l’Irlande. Ce qui est conforme aux règles de l’OCDE. Pour le cas du Maroc, ce même argument pourrait être ressorti, vu que le royaume dispose d’une convention de non double imposition. C’est dire que la bataille sera rude. Mais elle ouvrira très probablement la voie à d’autres pays émergents et permettra sans doute de démasquer des pratiques qui sont peut-être légales (même si cela reste à démontrer), mais très peu morales.

Par Younès Tantaoui
Le 20/12/2017 à 13h49