Dès le début de la compétition, le Mexicain Guillermo del Toro avait jeté un sort sur la lagune avec cette fable d'amour entre une femme de ménage muette et rêveuse (l'excellente Sally Hawkins) et une étrange créature amphibienne. La créature est perçue comme un grave danger pour l'humanité par un terrifiant militaire qui en la garde.
Del Toro revisite ici les films de monstres, mais aussi la fable de La Belle et la Bête, plantée dans un fabuleux décor rétro années 60. Le tout dans un sombre contexte historique de sexisme, de racisme et de haine internationale pendant la Guerre froide.
"Le conte de fées est l'antidote parfait contre le cynisme, car il touche les émotions", estime cet amoureux des créatures monstrueuses, concepteur d'univers visuels flamboyants.
Le réalisateur mexicain de 52 ans, qui vit aux Etats-Unis, a dédié son film à tous les "réalisateurs mexicains et latino-américains qui rêvent de faire quelque chose en forme de parabole, mais à qui on dit que ce n'est pas possible. C'est possible", a-t-il martelé en recevant samedi soir son prix des mains de la présidente du jury, l'actrice américaine Annette Bening.
Le jury a par ailleurs récompensé du prix du meilleur scénario le dramaturge et cinéaste irlando-britannique Martin McDonagh, l'autre grand favori des cinéphiles. Son film Three Billboards outside Ebbing Missouri, servi par la talentueuse Frances McDormand en mère endeuillée partie en guerre féroce contre la police locale, a fait rire aux éclats le Lido avec sa veine proche des frères Coen.
La surprise est venue du jeune réalisateur français Xavier Legrand qui a fondu en larmes en engrangeant deux prix, celui de la meilleure première oeuvre et le Lion d'argent de la meilleure mise en scène pour "Jusqu'à la garde". Le film, classique mais efficace, brouillant habilement les pistes, traite des violences faites aux femmes.
S'expliquant sur le choix d'un sujet aussi grave, Xavier Legrand a dit qu'il ne pouvait pas attendre face à l'urgence de ces situations. Le scénario sur un couple qui divorce est né d'un court-métrage nommé aux Oscars en 2014.
Huit ans après son sacre à Venise avec son film Lebanon, l'Israélien Samuel Maoz a pour sa part décroché le Lion d'argent Prix du Jury pour Foxtrot, une histoire de deuil avec pour toile de fond deux générations traumatisées par le service militaire israélien.
A noter aussi le Prix spécial du Jury décerné au western "Sweet country" de l'Australien aborigène Warwick Thornton.
Le prix du meilleur acteur est revenu au Palestinien Kamel El Basha pour son rôle dans le film du Libanais Ziad Doueiri, L'insulte, dans laquelle une banale dispute devient une affaire nationale. Le film a notamment été produit par la Française Julie Gayet.
Et le prix de la meilleure actrice a été attribué à la Britannique Charlotte Rampling pour son rôle, tout en désespoir intériorisé, d'une femme dont le mari est emprisonné pour pédophilie. Hannah, réalisé par le jeune réalisateur italien Andrea Pallaoro, est un portrait intime, tout en cadrages rapprochés sur Charlotte Rampling, qui explore son effondrement psychologique et sa lutte pour se redéfinir comme individu.
La Mostra de Venise, le plus vieux des festivals de cinéma, avait aligné cette année 21 films en compétition officielle pour le "Lion d'Or du meilleur film".
Parmi les trois films français en lice, le très attendu Mektoub, my love: canto uno du Franco-Tunisien Abdellatif Kechiche, filmé à Sète (sud de la France), est reparti bredouille. Il s'est fait encenser par des critiques français, mais aussi étriller par des cinéphiles italiens et américains qui dénonçaient son voyeurisme excessif.
Deux films hollywoodiens léchés n'ont pas été récompensés. Downsizing d'Alexander Payne, une satire sociale croustillante, en mode science-fiction. Et le film de George Clooney, "Suburbicon", polar sombre et rythmé dans la veine des frères Coen (coscénaristes), présentant une Amérique raciste des années 50 qui résonne avec les événements de Charlottesville.
Pour la première fois de son histoire, la Mostra a également attribué des récompenses à des films de réalité virtuelle. Elle n'a toutefois rien décerné à l'artiste chinois Ai Weiwei en compétition avec un ambitieux documentaire sur les migrations humaines.