Tahar Ben Jelloun réalise les vitraux d’une église en France en s’inspirant des trois religions monothéistes

DR

Quelle belle première que celle-ci. Pour la première fois, un artiste de culture musulmane se voit confier la création des vitraux d’une église. Un symbole fort et lumineux qui invite les trois religions monothéistes à communier dans une Maison de Dieu.

Le 25/11/2019 à 11h59

A l’origine du projet, deux hommes de paix…Ecrivain, poète et peintre, Tahar Ben Jelloun est tout cela à la fois et bien plus encore. Il s’est imposé tout au long de sa vie comme un trait d’union entre les deux rives de la méditerranée, un messager de la paix des peuples et un fervent défenseur de la cohésion et de l’harmonie entre les religions.

Par l’écriture, Tahar Ben Jelloun dépeint le monde et la société qui l’entourent, souvent associés à la violence, la brutalité, les tabous et les non-dits, terreau fertile de ses engagements et de ses coups de gueule. Mais avec la peinture, c’est une toute autre réalité qui se dévoile: spirituelle, lumineuse, positive, colorée et joyeuse, comme peut l’être la vie.

Jérôme Clément, initiateur du projet, est quant à lui bien connu du monde des arts et de la culture. C’est sur son invitation que Tahar Ben Jelloun, l’artiste (même s’il ne veut être qualifié ni de peintre ni d’artiste) a conçu les vitraux de la petite église Saint Genulf et Saint Charles où Clément été baptisé dans le village le Thoureil qui borde la Loire.

© Copyright : DR

Jérôme Clément est écrivain mais il a aussi dirigé le Centre National de la cinématographie avant de fonder la chaînée télévisée culturelle Arte. Il a par ailleurs présidé PIASA, une maison de vente aux enchères volontaires ainsi que le conseil d’administration du Théâtre national du Châtelet jusqu’en 2014. Puis jusqu’en 2018, il a préside la Fondation Alliance française et depuis 2012, il est à la tête du festival de cinéma Premiers Plans d’Angers.

Cette invitation à faire communier sous le pinceau de Tahar Ben Jelloun les religions dans une petite église trouve peut-être ses origines dans l’histoire familiale de Jérôme Clément. Lui, né d’un père catholique et d'une mère juive, baptisé catholique, à la demande de ses grands-parents paternels, mais qui n’a découvert qu’en 1996 seulement que ses grands-parents maternels sont morts déportés à Aushwitz.

De son côté, Tahar Ben Jelloun avoue avoir «été surpris puis enchanté et même fier.» Rendez-vous compte! «Un artiste de culture musulmane intervenant dans une vieille église!» s’enthousiasme-t-il. «A ma connaissance ce serait la première fois.»

Et de la discussion jaillit la lumièrePour poser la trame de ce projet tant artistique que spirituel, Tahar Ben Jelloun se plonge dans la lecture des textes sacrés.

«Cela m’a incité à relire le Coran pour savoir ce qu’il dit de Jésus et de Marie», explique-t-il.

«Huit sourates en parlent avec déférence, respect et amour. Des versets les présentent comme des modèles exemplaires. L’Islam recommande aux croyants de vénérer et de célébrer les prophètes qui ont précédé Mahomet. Il présente et défend les mêmes valeurs de justice, de vérité et de fraternité que les deux autres religions monothéistes.

Selon le Coran, Jésus est un signe pour le monde, annonciateur de vérité, c’est “un esprit émanant de Dieu“», écrit-il dans une longue lettre adressée aux habitants du petit village pour leur expliquer ce projet.

Car pour entrer dans cette Maison de Dieu et y faire communier les esprits de confessions différentes, Tahar Ben Jelloun doit au préalable soumettre l’idée au conseil municipal, à l’évêché et aux maires de la commune.

L’écrivain marocain se présente alors à eux, en toute humilité, expliquant qu’il lui est arrivé «plusieurs fois d’entrer dans une église», qu’il ne s’y est «jamais senti étranger» et qu’il a souvent été «fasciné autant par l’architecture de l’espace que par certains vitraux.»

Puis, il leur présente sa vision du monde et les invite à pénétrer dans son univers à travers les mots et les couleurs:

«Mes tentatives de peinture ont choisi de donner à voir la lumière, celle du monde et celle des cœurs. Je n’ai pas d’autre message. Peindre des signes et des formes dansants, osant des couleurs vives et enchantées, voilà ma passion. Dans mes écrits, j’aborde des thèmes dramatiques, l’exil, la solitude, la condition de la femme, l’immigration, tout ce que représente pour moi «la douleur du monde.» 

Et de poursuivre dans sa lettre: «dans la peinture, j’essaie l’optimisme, la joie et la danse. J’essaie la lumière qui donne espoir, qui rassure et apaise. C’est dans ce sens que j’ai travaillé les toiles servant de maquettes pour faire les vitraux de cette église.»

© Copyright : DR

Les couleurs de ces vitraux rappelleront donc la Loire, «ce grand fleuve apparemment tranquille mais qui a une personnalité étonnante, originale, spirituelle» que Tahar Ben Jelloun dit avoir passé des moments intenses à observer pour mieux en retranscrire «la diversité de ses lueurs, de ses teintes, de ses reflets» passant «d’un bleu étrange à un vert franc» pour «ensuite prendre une teinte sombre.»

Ces vitraux de couleurs «rappelant aussi bien la Loire que la Méditerranée» donneront peut-être à cette église modeste «une présence plus vive, plus ouverte», entrevoit-il.

Réhabiliter l’Islam en tant que religion de paixLe prêtre représentant de l’évêché adhère au projet et lors de sa rencontre avec l’écrivain franco-marocain lui demande «de faire entrer cette lumière dans cette demeure de paix (…) et d’écrire quelques mots en lettres arabes, en hébreu et en caractères latins.»

Pour Tahar Ben Jelloun, le symbole que revêt la création de ces vitraux est d’autant plus nécessaire qu’en «ces temps troubles où l’Islam est détourné et associé à une entreprise criminelle, il est important qu’un artiste de culture musulmane puisse inviter la lumière à éclairer les esprits qui entrent dans ce lieu pour prier ou pour méditer.»

Son crédo, il l’écrit donc en arabe sur les vitraux de l’église: «paix et lumière», afin de traduire sa croyance profonde «en la spiritualité d’où qu’elle vienne.»

© Copyright : DR

Car pour lui, «elle nous montre souvent le chemin et nous empêche de nous perdre dans le bruit et l’agitation d’un monde qui oublie ce qu’il y a d’humain pour aller puiser le mensonge dans l’apparence et le factice.»

Et de conclure dans un beau cri du cœur, «mon espoir est de servir la paix des cœurs et des âmes en introduisant un peu de joie et même de fantaisie en un lieu de prière»…

… et dans une ultime prière: «Puisse cette initiative rendre cette petite église plus grande, plus complice de la Loire qui lui arrive de monter et déposer son eau à sa porte. Des vitraux qui vivent grâce à la lumière qui danse ne peuvent qu’ajouter de l’esprit joyeux à une spiritualité qui rend les gens heureux dans la maison de Dieu.»

Par Zineb Ibnouzahir
Le 25/11/2019 à 11h59