Rien n’arrête Patrick Drahi. Après les télécoms et les médias, voici que cet homme d’affaires s’attaque au marché de l’art et s'offre rien de moins que Sotheby’s pour 3,7 milliards d’euros. Un achat qui fait jaser…
Neuvième fortune française, selon le classement 2019 du magazine américain Forbes, Patrick Drahi est né à Casablanca le 20 août 1963.
Fils d'un couple de professeurs de mathématiques, c’est à 15 ans qu’il arrive en France où, un bac et une prépa plus tard, il intègre l'école Polytechnique de Paris.
Débute ensuite une carrière riche et bien étudiée, au sein de Philips tout d’abord, puis chez UPC, filiale européenne de Liberty Global, le groupe de John Malone, le roi américain de la télévision numérique par câble, qu'il prendra d’ailleurs pour modèle.
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Ingénieur talentueux, habile financier, Patrick Drahi décide ensuite de voler de ses propres ailes et rachète, progressivement, de petits câblo-opérateurs régionaux en difficulté financière.
Les télécoms, socle de l’empire DrahiEn 1994, Patrick Drahi fonde en France le câblo-opérateur Sud Cablevision, puis cinq ans plus tard Médiaréseaux, qu'il revend au géant du câble américain UPC.
Après l'éclatement de la bulle Internet, il crée le groupe Altice qui va progressivement procéder au rachat de quasi tous les câblo-opérateurs français (Noos, Numericable, France Télécom Câble). Numericable s’imposera par la suite, dès 2007, comme une marque unique réunissant cet ensemble.
En novembre 2007, Altice finalise la prise de contrôle de l'opérateur Completel, qui devient la branche dédiée aux entreprises de Numericable. Ce dernier se lance en tant qu'opérateur mobile en 2011.
Puis en juin 2013, le rachat d'Outremer Télécom est officialisé, suivi un an plus tard par celui du premier opérateur sans réseau propre en France, Virgin Mobile. Portugal Telecom est par la suite avalé en décembre 2014, pour 7,4 milliards d'euros.
En avril 2014, Patrick Drahi remporte une bataille très médiatisée face à Martin Bouygues (Bouygues et Bouygues Telecom) en s'emparant de SFR. Altice débourse 13,5 milliards d'euros pour acquérir 80% du deuxième opérateur de télécoms français et s'assure le reste du capital dès février 2015, en versant environ 3,9 milliards d'euros. Le groupe a tenté ensuite, en juin 2015, de racheter Bouygues Telecom, mais son offre de 10 milliards d'euros a été refusée.
Les médias, le fer de lancePatrick Drahi a d'abord réuni dans son portefeuille de petites chaînes télévisuelles thématiques comme Vivolta, Shorts TV, Kombat Sport et le groupe MCS.
Associé à Marc Laufer, il passe à la vitesse supérieure et s'empare de grands médias nationaux, fleurons de la presse papier en France, en mettant la main, en février 2015, sur les titres français du groupe belge Roularta, parmi lesquels les magazines L'Express, L'Expansion et l'Etudiant.
Conjointement avec Alain Weill, il rachète en juillet 2015 pour 595 millions d'euros NextRadioTV, qui regroupe la radio RMC et la chaîne d'info en continu BFMTV, ainsi que les chaînes RMC Découverte et BFM Business.
Patrick Drahi détient également, à travers Altice, le quotidien français Libération, un rachat effectué en deux temps, en 2014 puis en 2015.
Possédant la double nationalité franco-israélienne, Patrick Drahi possède également la chaîne israélienne d'information en continu i24news, lancée en juillet 2013 et le groupe israélien Hot (télévision et téléphonie mobile).
Aux Etats-Unis aussi, l'empire Drahi s'étend et prospère. Un temps intéressé par Time Warner Cable, Altice prend pied Outre-Atlantique en mai 2015 en achetant 70% du capital de Suddenlink Communication, numéro 7 du secteur du câble. Montant de cette opération: 6,7 milliards de dollars (6 milliards d'euros).
En septembre 2015, Altice annonce le rachat de Cablevision Systems pour 17,7 milliards de dollars. Le nouvel ensemble atteint le quatrième rang des plus gros câblo-opérateurs sur le marché américain.
Enfin, ultime consécration, en juin 2017, Altice USA, filiale américaine de l'empire Drahi, fait son entrée à Wall Street.
Un homme redouté et redoutableForcément, une carrière aussi fulgurante ne se fait pas sans casse, et sans se faire d’ennemis. Certains, notamment les leaders syndicaux, lui reprochent sa gestion brutale, basée sur des suppressions d’emplois et des coupes drastiques dans les budgets.
Son statut de résident fiscal en Suisse, où il vit avec son épouse et leurs quatre enfants depuis ses 35 ans, passe aussi très mal en France.
Enfin, autre élément qui attise les critiques de ses détracteurs, la cotation de son groupe à Amsterdam, quand bien même ses actifs français sont toujours enregistrés en France.
Un empire bâti très (trop) vite et qui reposerait sur une montagne de dettes… C’est ce qu’observe et redoute la presse française et internationale.
Le classement 2019 de Forbes valorisait ainsi ses actifs à 6,8 milliards de dollars, en net recul par rapport au classement de 2017 où ceux-ci était estimés à 13 milliards.
Quid de l’art?En annonçant hier, lundi 17 juin 2019, le rachat pour 3,7 milliards de dollars de la célèbre maison d'enchères Sotheby's, le plus ancien groupe de ventes aux enchères au monde, et dont le siège se trouve à Londres, à un moment où les ventes d'oeuvres d'art atteignent des montants astronomiques, Patrick Drahi a, de nouveau, su créer la surprise.
Bien que son amour pour l'art soit connu du monde des affaires, personne ne s'attendait, pour autant, à une entrée fracassante dans ce cercle très fermé, voire hermétique, du monde de l'art. Mais cette fois-ci, souligne-t-il à l’attention de la presse, l'investissement dans Sotheby's est personnel, et doit être financé par des cessions d'actions d'Altice et par un emprunt auprès de la BNP-Paribas.
"Je réalise cet investissement pour ma famille, via ma holding personnelle, dans une perspective de très long terme", indique Patrick Drahi dans son communiqué.
Patrick Drahi devient par son acquisition le rival direct de François Pinault, autre grande fortune française, propriétaire, via sa société d'investissement Artémis, d'une autre maison de vente aux enchères: Christie's, la grande concurrente de Sotheby's sur un marché des enchères d'art en pleine effervescence.
A titre d'exemple, sur les 311 oeuvres ayant dépassé 30 millions de dollars, 217 ont été adjugées à New York et 67 à Londres, essentiellement par ces deux maisons. Plus récemment, Sotheby's a ainsi organisé à New York la vente pour 110,7 millions de dollars d'une toile de la série des "Meules" de Claude Monet, un record pour le peintre impressionniste français.
Sotheby's a aussi fait parler d'elle en octobre dernier, quand une oeuvre de Banksy, tout juste vendue, s'est autodétruite sous les yeux du public à Londres.
"Cet investissement va démontrer encore un peu plus l'ancrage de ma famille aux Etats-Unis, un pays où nous sommes les bienvenus depuis les acquisitions réussies de Suddenlink en 2015, Cablevision en 2016 et, tout récemment, Cheddar", a commenté le milliardaire.
"Il a une approche académique, avec la construction d'une collection sans faute, mais il est aussi capable d'achats très impulsifs", confirme à l'AFP Thierry Ehrmann, Pdg d'ArtPrice. "Il a aussi acheté des Chagall assez spectaculaires", souligne-t-il encore.
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"Il a une très bonne connaissance de l'art, (...) aime l'art cinétique, notamment Vasarely", souligne, de son côté, le président d'Artprice Thierry Ehrmann, selon lequel le classement mondial établi par sa société, qui sera rendu public fin juillet, place Patrick Drahi au rang de 252e collectionneur mondial (sur 500).
On dit ainsi du milliardaire que c’est "un collectionneur d'art très secret, très élitiste", assez porté sur le contemporain, qui aime les volumes et les installations.
Son acquisition de Sotheby's surprend, mais reste de bonne augure pour le marché de l'art.
"C'est une très bonne nouvelle car le marché de l'art, dominé par les ventes publiques, a 20 ans de retard, et c'est un système périmé. Ce marché avait besoin de cela, car il s'était jusqu'ici affranchi de l'informatique et d'Internet", a réagi Thierry Ehrmann au sujet du rachat de Sotheby's par Patrick Drahi, qui saura sans doute imprimer une évolution significative au marché mondial de l'art.