En ce moment, le Petit Palais à Paris consacre une très belle exposition à l’écrivain irlandais Oscar Wilde sous le titre L’impertinent absolu. On y découvre la vie de ce dandy extravagant, grand dramaturge et romancier, et figure des salons londoniens à la fin du XIXe. Une partie de l’exposition traite évidemment de la tragédie qui eut raison du romancier: sa condamnation pour homosexualité. Le visiteur peut ainsi découvrir les caricatures immondes qui circulaient à l’époque. Ces gravures homophobes montrent un Oscar Wilde ridiculisé, son physique déformé comme celui d’une bête de foire. D’autres accentuent ses caractéristiques féminines puisqu’il est évident pour ses accusateurs qu’un homme efféminé est ridicule: la preuve, une femelle ne vaut rien!
Avant de connaître l’opprobre, Oscar Wilde a connu la gloire. A l’époque de son procès, en 1895, il est même en train de triompher avec sa pièce L’importance d’être constant. Le Tout-Londres se presse au théâtre et se régale de ses bons mots. Lui que tous les salons adoraient, va mourir seul et le jour de son enterrement, ils ne seront que six à l’accompagner au cimetière. Son crime? Etre un homosexuel. Car, dans l’Angleterre victorienne, l’homosexualité est punie de prison. Condamné à deux ans de travaux forcés, Wilde refuse de s’enfuir en France, comme le lui conseillent ses amis, et il décide de faire face. Arrêté, il est emmené en prison où il va survivre dans des conditions d’une dureté indescriptible.
Ces années de captivité lui inspireront la très émouvante Ballade de la geôle de Reading mais également la lettre De Profundis, adressée à son amant. «J’ai été exposé, écrit-il, dans des conditions d’indicible humiliation, aux regards et à la moquerie des hommes. Après la terrible sentence, quand j’étais en tenue de forçat et que les portes de la prison se sont refermées, je me suis assis parmi les ruines de ma merveilleuse vie, écrasé par l’angoisse, décontenancé par la terreur, étourdi par la douleur. Et pourtant, je ne te haïssais pas. Chaque jour, je me disais, “Je dois garder l’Amour dans mon cœur aujourd’hui, sinon comment survivrais-je toute la journée ?”». Au moment où Wilde est condamné, 600 homosexuels ont fui l’Angleterre et se sont réfugiés en France.
En visitant cette exposition, je me disais que le destin de Wilde avait beaucoup à nous dire. Il ne faut jamais oublier que derrière les condamnations terribles dont la presse se fait écho, notamment au Maroc, il y a des êtres. Des hommes et des femmes dont la vie est brisée, salie, foulée au pied. Il faut s’imaginer que des hommes dorment au fond des cellules des prisons marocaines ; ils perdent leur statut, leur réputation, leur dignité en raison de leur choix sexuel.
On aura beau me dire: «C’est ainsi, c’est notre culture ! L’homosexualité ? Pas de ça chez nous», je refuse évidemment cet argument culturaliste. Car dire ça, c’est considérer que l’universalité des droits de l’Homme nous est étrangère à nous, Marocains. Nous serions, du fait de notre religion, de nos traditions, différents par nature et nous ne pourrions pas nous prévaloir de ces droits qui sont censés s’appliquer à tout être humain quelle que soit son origine ethnique, sexuelle ou sociale.
Contrairement à ce que des esprits chagrins prétendent, je ne suis pas une fauteuse de trouble ou un agent de l’occidentalisation. La seule chose que je défends c’est le droit de chacun à vivre dans la dignité, à disposer de son corps et de ses droits, à être protégé de la violence sociale ou familiale. D’ailleurs, il faut être honnête et rappeler qu’en Occident aussi le combat est loin d’être gagné. Mais lorsqu’elle prétend que «l’homosexualité est une abomination», Christine Boutin est condamnée. Et c’est tout à l’honneur du Vatican, pourtant autorité religieuse conservatrice, d’avoir condamné les immondes propos d’un prêtre pour qui les séismes qui ont touché l’Italie sont une «punition divine» liée aux unions civiles entre homosexuels. Rien dans notre culture ne doit nous empêcher de mener un travail de fond pour lutter contre l’homophobie, cette culture de la haine et de la violence.
Il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu’une vague sombre et glaciale est en train d’envelopper le monde. De Trump à Poutine en passant par Orban ou Duterte, ces figures d’autorité valorisent la virilité la plus rétrograde, s’affichant volontiers misogynes et homophobes. Dans ce climat délétère, il serait tragique de courber l’échine. Il faut plus que jamais tenir, car il suffit d’un rien pour que les humanistes, les amoureux de la liberté, les marginaux ou les femmes, soient réduits en poussière.
Je vous l’avoue, je ne suis pas une passionaria et j’ai peur, souvent. J’ai de la peine aussi quand je reçois des messages haineux, violents, racistes, misogynes. Quand on m’accuse de tous les maux, qu’on me prête des intentions que je n’ai pas. Quand on m’insulte. Mais pour me donner de la force, je me dis que la liberté dont je dispose doit servir ceux qui en sont dépossédés. Que les mots qui sont à ma portée doivent raconter le destin de ceux qui sont voués au silence. Oscar Wilde était l’impertinent absolu. L’homme qui refusait le conformisme, qui acceptait de choquer et donc d’être seul. Le pire est toujours possible et c’est pour cela qu’il me semble nécessaire de défendre ce qui nous paraît bien, tant qu’il est encore temps.