Il n’y a pas pire que les trahisons d’amitié. Encore faut-il étudier le cas saoudien et démontrer qu’entre le Maroc et l’Arabie Saoudite il y avait de l’amitié, c’est-à-dire une similitude de vie, une conformité de sentiments accompagnés de bienveillance. Ne riez pas, c’est juste une définition de ce qu’est l’amitié.
Longtemps on a cru que ce pays pétrolier si riche aidait généreusement le Maroc. Rien d’officiel n’a été publié à ce sujet. Depuis la prise du pouvoir par celui qu’on appelle MBS, Mohamed Ben Salmane, on a constaté que les relations n’étaient pas aussi simples et évidentes que du temps de son père qui est roi et gouverne en principe ce pays. Aucune information n’a filtré ces derniers temps à part la photo du dîner dans un restaurant de Paris avec le premier ministre libanais Hariri et Sa Majesté Mohammed VI. Souriants tous les trois, on pouvait décrypter qu’au fond, cette photo ne prouvait rien. MBS, totalement lié à Trump, surtout aux intérêts américains, et officieusement à Israël qui tue tranquillement des Palestiniens quasiment tous les jours et mène une campagne contre l’Iran, ennemi intime de l’Arabie Saoudite, fait tout pour ne pas déplaire à son Big Boss, Donald Trump, lequel n’aura aucun scrupule à le déplumer et ensuite le jeter comme un mouchoir en papier.
Ainsi, non seulement il a décidé de ne pas voter pour la candidature du Maroc pour le Mondial de 2026, mais il a fait pression sur d’autres pays pour lâcher le Maroc dans l’espoir de plaire à son maître qui avait menacé les pays qui ne voteraient pas pour l’Amérique. Cela s’appelle de la trahison d’amitié ou pour utiliser leur langage, trahison de famille. Quelle famille? Qu’avons-nous Marocains de commun avec des bédouins arrogants et méprisants?
Il y a longtemps, cela fait plus de quarante ans, le directeur du Monde m’avait envoyé faire un reportage sur le pèlerinage à la Mecque. Jeune et plein d’illusions, j’étais parti découvrir les lieux saints de l’islam et rapporter objectivement les conditions dans lesquelles se déroulait le pèlerinage. J’avais tout noté, tout décrit et tout écrit. J’étais scandalisé par la brutalité de l’administration saoudienne, par l’absence d’hygiène et de sécurité. J’ai raconté ce que j’ai vu et ce que j’ai vécu.
Evidemment, lorsque le reportage a été publié durant trois jours de suite, certains Etats musulmans ont crié au blasphème et réclamèrent au Maroc que je sois puni. Je sais qu’aujourd’hui les choses ont changé. Mais les croyants sont tellement heureux de faire leur devoir de musulmans qu’ils oublient ce que l’administration saoudienne leur fait subir. Comme on dit «la foi rend aveugle».
Depuis quelques décennies, la plupart des Saoudiens qui passent des vacances au Maroc ne visitent ni les monuments ni les musées, ils n’admirent pas non plus les paysages. Ils sont là pour autre chose. Tout le monde le sait et la voix populaire ne les rate pas. Dernièrement un feuilleton arabe a illustré ce genre d’escapade saoudienne en montrant des maris s’encanailler avec des jeunes femmes marocaines, des travailleuses du sexe. En fait, comme dirait Michel Audiard, «ce sont des mangeurs de santé de jeunes femmes dans le besoin».
Lorsque le Maroc a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran la première fois en 2009, c’était par solidarité avec certains pays du Golfe dont l’Arabie Saoudite. Cette fois-ci c’est parce que l’Iran a fourni des armes importantes au Polisario, signifiant ainsi son refus de reconnaître et de respecter l’intégrité territoriale de notre pays.
Il en va de l’amitié entre Etats comme entre des personnes. Voici ce qu’en dit Aristote dans «Ethique à Nicomaque»: «Et quand les hommes sont amis il n’y a plus besoin de justice, tandis que s’ils se contentent d’être justes ils ont en outre besoin d’amitié et la plus haute expression de la justice est, dans l’opinion générale, de la nature de l’amitié».
On peut avoir des divergences, on peut également exprimer des désaccords, mais la valeur de l’amitié reste fondamentale et non négociable. L’Arabie Saoudite de MBS n’attribue pas le même sens à l’amitié avec un pays dit «frère», surtout qu’il est manipulé par les intérêts américains qui le poussent vers un affrontement avec l’Iran, une façon d’aider les appétits et la haine des Israéliens pour tout ce qui est musulman. L’Iran n’est pas un ami du Maroc. Mais si demain une guerre éclate dans le Proche Orient, il est à craindre que l’ensemble de ces pays du Golfe très armés, mais pas entraînés ni motivés, soient anéantis.
Non seulement MBS n’est pas notre ami, mais en plus c’est un mauvais stratège qui est en train de faire courir des risques énormes à son peuple et qui n’arrive pas à tirer son épingle du jeu dans la guerre au Yémen qu’il a déclenchée sans réfléchir et qui lui coûte beaucoup. Il est temps que le Maroc se retire de la coalition qui mène cette guerre absurde. Il n’a rien à faire dans cette galère ni à rendre service à une politique saoudienne stupide et sans perspective.
L’histoire du vote contre le Maroc est au fond secondaire. Elle révèle autre chose: à quoi tient une solidarité arabe? A pas grand chose. Les Marocains qui se sont exprimés sur cette affaire ont raison de réclamer que les 15 milliards de dollars prévus pour l’organisation du Mondial de 2026 soient utilisés pour construire des hôpitaux et des écoles, pour doter le pays d’une politique de santé et d’éducation de bon niveau. Le Maroc a d’énormes besoins et, à la limite, devrait se réjouir d’avoir été écarté. Il y a des priorités, des urgences dans tant de domaines qu’on peut se permettre de reporter à une décennie ou deux l’envie d’organiser une manifestation à caractère international.
Grâce à ce vote, le Maroc sait à présent quels sont ses amis et ses faux amis. A noter que l’Algérie a voté pour le Maroc. Elle a fait preuve de solidarité maghrébine et on ne peut que s’en réjouir. Pourquoi ne pas présenter pour le Mondial de 2030 la candidature des pays du Maghreb? Le sport pourrait être le ciment dont a besoin cette région pour constituer une entité forte et solidaire face à l’Europe et au monde.